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La revanche des premières dames

Huguette Junod rend hommage au rôle prestigieux, quoique ingrat, des épouses et compagnes de présidents.
Représentations

Le 20 janvier, lors de la seconde investiture de Trump et de son sinistre show, un incident m’a fait rire. Melania, première dame, portait une tenue stricte bleu marine et un chapeau de la même couleur, dont le large bord cachait ses yeux. A un moment donné, Donald Trump s’est tourné vers elle pour l’embrasser, mais s’est heurté à son casque et n’a pu approcher sa joue. La rumeur veut que Melania ne tenait pas à redevenir première dame et que le couple vit séparé. En public, elle se montre froide et distante. Son chapeau lors de l’investiture est à lui seul le symbole de ce qu’elle doit ressentir à l’égard de son époux si encombrant, vulgaire et misogyne.

La vie des premières dames n’est pas une sinécure. Hillary Clinton a dû subir, en public et dans les médias du monde entier, les mensonges répétés de son président de mari, puis sa confession penaude de relations sexuelles avec sa stagiaire. Aucun détail ne lui a été épargné. En 2016, bien qu’elle ait obtenu 2 millions de voix de plus que Trump, elle a perdu à cause de l’absurde système américain. Si elle était devenue la première femme présidente des Etats-Unis, peut-être qu’aujourd’hui, Trump ne serait pas président.

En France, Valéry Giscard d’Estaing est le premier président (1974-1981) à mettre son épouse en avant et à lui donner un rôle public. Mais Anne-Aymone ne s’intéresse pas vraiment à la politique et accueille la fin du septennat avec un certain soulagement. De 1983 à 1995, elle occupe toutefois la fonction de conseillère municipale de Chanonat, dans le Puy-de-Dôme, où le couple possédait un château.

François Mitterrand (1981-1995) menait une double vie, que son épouse Danielle subissait la tête haute. Elle utilisa sa position de première dame pour soutenir les peuples en lutte et fonder, en 1986, France-Libertés – Fondation Danielle Mitterrand, qu’elle présida jusqu’à sa mort.

Bernadette Chirac était méprisée par son mari Jacques (président de 1995 à 2007). L’ayant soutenu pendant sa première campagne, elle fut interdite de balcon le jour de la victoire. Elle fait pourtant partie des rares épouses de président de la République française à avoir exercé un mandat électif. Elue en 1971 au conseil municipal de la commune corrézienne de Sarran, où se trouvait le château du couple, elle devint à partir de 1977 seconde adjointe au maire et fut sans cesse réélue jusqu’en 2020.

Le film Bernadette de Léa Domenach (2023) est jouissif. On suit Bernadette Chirac pendant les deux mandats de Jacques, de sa première élection en 1995 jusqu’à celle de Nicolas Sarkozy en 2007. Eclipsée par son mari, par leur fille Claude, conseillère de communication omniprésente, moquée par les politiques et le personnel de l’Elysée, elle peine à trouver sa place. Avec l’aide du conseiller en communication Bernard Niquet, lui-même moqué (on l’appelait Mickey), elle prend son destin en main, modifie son image de femme rigide et ringarde. Elle tente de conseiller son mari, mais il ne l’écoute pas, préférant suivre ses proches collaborateurs, comme Dominique de Villepin lors de la dissolution de 1997, qui ouvrit la voie à cinq années de cohabitation. Elle enchaîne les initiatives politiques, parfois sans prévenir Chirac, par exemple la réception d’Hillary Clinton en 1998 sur «ses terres» corréziennes. Bernadette développe aussi des projets qui lui tiennent à cœur et assurent sa popularité, comme l’opération Pièces jaunes.

La revanche viendra en avril 2002. Bernadette est la seule à lui prédire un face-à-face avec Jean-Marie Le Pen au second tour. Ses discussions dans les marchés de Corrèze l’en avaient persuadée. Mais ni Chirac ni ses conseillers ne la croient… Pour la célébration de la victoire, elle paraît au balcon avec le président et tous la félicitent au même degré que lui. Elle est enfin reconnue à sa juste valeur.

Huguette Junod est écrivaine, Perly (GE).