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Nomophobie

Léon Meynet réagit à un article publié récemment dans nos colonnes.
Société

Ce nouveau mot lié à l’addiction des écrans en tout genre et de l’angoisse que leur oubli, leur perte ou leur dysfonctionnement engendrent, est banalisé par le psychologue Niels Weber dans votre édition du 27 février.

Etonnants sont les propos tenus par ce spécialiste du cognitif qui minimise les faits et les effets. Tout comme a été banalisé, en son temps, l’usage fébrile et exponentiel à toute heure du jour et de la nuit de ces supports électroniques devenus des prothèses. Oui, des prothèses à penser, des prothèses à mémoriser, des prothèses à se déplacer, des prothèses à savoir, des prothèses à rédiger. Elles sont devenues tellement envahissantes avec leurs alléchants miroirs aux alouettes addictifs, qu’il n’est devenu quasiment plus possible de recourir aux savoirs, aux mémoriels sans passer par elles.

Fini les apprentissages classiques des connaissances des XIXe et XXe siècles à l’école des Lumières et des grands auteurs. Tout est automatisé, tout est mémoire de substitution, tout est connexion automatique, tout est formulation suggérée. Phénomènes qui vont encore s’amplifier et se généraliser avec l’intrusion massive de l’IA. Il n’y a plus de penseur·ses, il n’y a plus d’intellectuel·les, il n’y a plus de philosophes pour alerter, pour prévenir, pour créer, pour stimuler et organiser des oppositions, pour suggérer des mises en garde. Trop occupé·es qu’ils ou elles sont à s’inscrire dans l’ère de leur temps pour ne pas être dépassé·es, dépossédé·es.

Il en résulte ce que nous avons pu lire dans votre article, une invraisemblable louange à l’adaptabilité de votre invité spécialiste en psychothérapie qui dédramatise, déculpabilise, voire encourage à une pratique de socialisation par téléphonie dérivative pour pallier la téléphonophobie émergente. Pire, en parfait spécialiste en hyperconnectivité, il critique les auteurs de l’étude Comparis en les considérant comme personnes «qui ne sont ni du milieu de la santé, ni de la sociologie». Il arrive même à esquisser un renversement des valeurs. Autrement dit à déculpabiliser l’addiction et à considérer, entre les lignes, les récalcitrant·es de ­sociopathes.

Sans doute a-t-il vu du bon dans les contraintes au télétravail et aux visioconférences de l’ère Covid? Triste réalité pour un triste monde que l’on nous vend là et que l’on veut considérer comme seule réponse possible au «vivre ensemble avec son temps»!

Léon Meynet,
Chêne-Bougeries (GE)