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Quelle justice pour les personnes au statut précaire?

Pour une personne sans-papiers, il est périlleux de faire appel à la police pour réclamer justice, au risque d’une expulsion, d’une perte d’emploi ou de logement. Un «système inégalitaire qui met les femmes en danger», dénonce l’ODAE. Une table ronde sur ces questions a lieu prochainement à Carouge (GE).
Genève 

Dora1> Tous les prénoms mentionnés sont des prénoms d’emprunt. arrive en Suisse sans statut de séjour et rencontre Jorge, originaire d’Espagne. Après deux ans de harcèlement et de menaces de la part de ce dernier, elle finit par se rendre dans un commissariat de la police cantonale genevoise pour déposer plainte. Celle-ci lui indique qu’il n’y a pas matière à enregistrer une plainte, mais qu’elle doit en revanche rendre des comptes pour son séjour illégal. Sa plainte à l’encontre de Jorge n’est jamais enregistrée2>Cf. cas n°484, odae-romand.ch.

Kelia, originaire de Colombie, vit à Genève et travaille en tant qu’employée dans l’économie domestique sans posséder de titre de séjour. En 2023, elle est victime d’un vol. Un policier arrête le voleur et demande à Kelia de le suivre au poste pour déposer plainte. La police se rend alors compte de sa situation juridique. Son employeuse est convoquée et amendée, malgré le fait qu’elle avait cotisé pour Kelia auprès des assurances sociales. Elle est contrainte de mettre fin à son contrat de travail. La personne qui loue à Kelia son appartement lui demande de quitter les lieux. Kelia écope en outre d’une peine de 30 jours-amende pour séjour illégal et d’une décision de renvoi avec un départ fixé à fin 2024.3>Cf. cas n°489, odae-romand.ch

Les histoires de Dora et Kelia soulignent toutes deux une inégalité criante: lorsqu’on est sans-papiers à Genève, impossible d’aller voir la police pour réclamer justice. Pire, une double, voire une triple peine s’impose à ces personnes, car en plus d’un risque d’expulsion, elles perdent souvent leur emploi et parfois leur logement. Ajoutons qu’une possible régularisation dans le futur devient encore plus compliquée avec une condamnation pour séjour illégal, voire simplement impossible.

Ce système inégalitaire est particulièrement dramatique pour les femmes, qui se trouvent soumises au risque d’une aggravation de leur précarité et donc dissuadées d’aller dénoncer des infractions. Or, les femmes sans-papiers représentent une part non négligeable de la population: en 2017, la Law Clinic de l’Université de Genève relevait que sur les 12’000 personnes vivant sans permis de séjour à Genève, 80% seraient des femmes4>Law Clinic de l’université de Genève, «Les droits des femmes sans statut légal à Genève», 2017.. Un taux qui s’explique par le fait que bon nombre d’entre elles ne trouve du travail que dans des secteurs à bas salaires ou aux taux fluctuants, ce qui ne permet pas de demander une régularisation.

Alors que les violences sexistes et sexuelles sont de plus en plus dénoncées, que même les institutions se drapent de violet à l’arrivée du 8 mars, n’est-il pas alarmant de savoir qu’aujourd’hui encore une partie de la population est dissuadée de dénoncer un agresseur parce que cela signifie risquer un renvoi?

Parfois, la justice parvient à être saisie. Mais se pose alors un nouveau problème tant pour les personnes sans statut légal que pour celles en procédure d’asile: la lenteur des procédures judiciaires qui tranche avec la rapidité des décisions d’expulsion.

En 2014, un incendie a ravagé le foyer pour requérant·es d’asile des Tattes, à Genève. En raison de défaillances techniques, des habitants ont été pris au piège et plusieurs se sont défenestrés. L’incendie aura finalement fait un mort et une quarantaine de blessés graves.

Des plaintes sont déposées, mais le verdict ne sera rendu que près de dix ans plus tard (un appel est en cours, et l’affaire n’est pas terminée). Entretemps, presque toutes les personnes concernées ont dû quitter la Suisse, certaines renvoyées de force. Cet événement tragique illustre le problème crucial de la temporalité des procès. De longue haleine, il est facile d’en attendre l’issue pour la partie de l’Etat – dont la responsabilité dans la catastrophe a finalement été reconnue. Inversement, la plupart des sinistrés des Tattes, eux, n’ont pas eu l’occasion de connaitre le verdict.

Pourtant, l’accès à la justice est un droit protégé par la Constitution suisse aussi bien que par la Convention européenne des droits humains. Pour le garantir, les associations de soutien aux personnes sans-papiers appellent d’une part à instaurer un système de protection en empêchant la communication d’informations relatives au statut de séjour de la victime entre les autorités. D’autre part, elles demandent la garantie du droit au séjour des victimes qui osent déposer plainte, au moins pendant toute la durée de la procédure.

Notes[+]

Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE).