D’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les déplacements forcés ont continué d’augmenter au cours des six premiers mois de 2024. A la fin du mois de juin, ils avaient dépassé les 122 millions d’individus 1> www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/apercu-statistique. C’est le sort d’une personne sur 67 dans le monde, soit près de 1,5% de la population mondiale; presque le double du pourcentage de personnes déracinées (1 sur 125, soit 0,8%) enregistré dix ans plus tôt. Depuis des années, les mineur·es déplacé·es représentent quelque 40% des effectifs, selon le HCR 2> HCNUR: Global Trends Report 2022, 2023.. En 2023, 12 466 nouvelles demandes d’asile avaient été déposées par des enfants en Suisse, soit plus d’une sur trois. Quand ils ne viennent pas seuls, ils sont davantage considérés comme des «pièces rapportées», et nos autorités ont tendance à oublier qu’ils ont droit à une protection particulière, reconnue par la Convention relative aux droits des enfants, ratifiée par 196 Etats, dont la Suisse en 1997. Peu de cas est fait de leurs besoins spécifiques, même s’ils sont malades.
Deux situations récentes ont montré la banalisation voire «l’omission» par nos autorités de maladies sérieuses chez des enfants, du simple fait qu’elles ont appliqué à une famille entière le principe de l’accord de Dublin qui permet de refouler des demandeurs d’asile dans le premier pays européen par lequel ils sont entrés – en l’occurrence la Croatie – sans analyser les raisons ayant poussé ces personnes à émigrer, ni même s’intéresser à une vulnérabilité particulière des mineurs. Or l’une des enfants de cette famille venait de sortir du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) avec des contrôles spécialisés programmés. L’autre avait une maladie du sang nécessitant un suivi très étroit prescrit par des spécialistes, qui rendait un voyage en avion contre-indiqué. Cela n’a pas empêché le Secrétariat aux migrations (SEM) de les faire embarquer avec leurs parents, cueillis avant l’aube par des policiers et voyageant sur des sièges séparés de leurs mère et père.
Imaginez-vous en pareille situation avec vos enfants ou petits-enfants, vous devrez admettre que les droits élémentaires de ces enfants n’ont pas été respectés. Sans compter que ni l’une ni l’autre n’était en possession de son dossier médical, quand bien même, nous dit-on, un médecin avait donné le feu vert au voyage – il a dû oublier son serment d’Hippocrate3> «Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.»! On peut être certain que le stress rajouté par cette épreuve demandera à ces enfants beaucoup de résilience pour ne pas déboucher sur un Syndrome de stress post-traumatique (SSPT) – en tout cas pour l’une ayant auparavant assisté à des violences infligées à sa mère par des policiers à la frontière croate. On peut sans équivoque qualifier cet épisode de maltraitance institutionnelle, au mieux par négligence!
Avant même le renvoi, il y a le temps d’attente dans un Centre fédéral d’asile (CFA) ou un foyer cantonal – voire les deux. Une étude récente4> Bombach, Clara (2024): «Warten auf Transfer – das (Er)Leben von Kindern in kollektiven Asylunterkünften», in Asyl – Schweizerische Zeitschrift für Asylrecht und -praxis 1, p. 8-13. traite de la vie et du vécu des enfants dans les centres d’hébergement collectif pour requérant·es d’asile: ces enfants parlent de «camps» et non de foyers, de l’absence d’endroit «sécurisé» et du manque de nuits calmes, de leur envie de s’intégrer en Suisse («dehors c’est la Suisse, mais j’ai peur que l’on contrôle mes papiers, alors je sors peu»); ils et elles rêvent d’avoir un «chez soi», s’inquiètent de leurs parents qui vont mal, et j’en passe. Qui pour s’occuper d’eux? Personne, sauf en cas de décompensation psychologique évidente, et encore. Bénéficier d’un suivi psychologique relève du miracle, d’autant plus dans un CFA – puisque les familles ne sont pas censées rester…
A noter, comme le relève l’étude mentionnée, qu’«il n’existe pas en Suisse de normes minimales obligatoires pour l’hébergement des enfants accompagnés dans les centres d’hébergement cantonaux ou fédéraux pour requérant·es d’asile». Ces normes «devraient mettre l’accent sur le respect des droits de l’enfant, la protection des enfants, leurs soins et leur participation, et donc sur la satisfaction de leurs besoins fondamentaux». Dans certains cantons, les familles ont au moins un accès prioritaire à des logements privés, mais les disparités cantonales sont énormes.
La vulnérabilité des enfants migrants doit être reconnue, il s’agit d’un problème de santé publique. Leur individualité et leurs besoins spécifiques doivent être pris en compte. Sinon les séquelles seront difficiles à réparer!
Notes