Ce début 2025 marque un tournant pour la finance durable: BlackRock, premier gestionnaire d’actifs mondial, quitte l’Alliance Net Zero Asset Managers. UBS envisage de suivre, alors qu’en 2024, elle organisait encore fièrement Building Bridges, une initiative pour la finance durable. La facilité avec laquelle ces acteurs abandonnent leurs ambitions climatiques est révélatrice: l’illusion de l’autorégulation est tombée.
Ce revirement est symptomatique d’une réalité structurante des investissements durables. Par exemple, 95% des actionnaires de Glencore ont voté pour le maintien de ses activités dans le charbon, une filière extrêmement polluante. La raison? Les énergies fossiles restent bien plus lucratives que les autres activités de l’entreprise1>Swissinfo, 07.08.2024, (En ligne). Ainsi, un paradoxe se dessine: bien que les énergies renouvelables soient moins chères, les investissements restent faibles car leurs rendements ne rivalisent pas avec ceux des projets fossiles2>Christophers, B. The Price Is Wrong: Why Capitalism Won’t Save the Planet, Verso Books, 2024.. Néanmoins, la transition demandera encore jusqu’à 10 milliards de dollars d’investissements annuels. Peut-on dès lors compter sur le capital privé pour financer la transition?
Le capital privé face à l’écologie. Pour combler le déficit d’investissement, les institutions comme la Banque mondiale appellent les gouvernements à attirer le secteur privé3>Hutton, S. et Heinz, P.R. 2023. (En ligne), notamment via une tendance à «dé-risquer» les projets verts par le biais de partenariats public-privé avec des garanties de rendement pour les investisseurs. Cependant, cette approche rend l’Etat dépendant des investisseurs institutionnels qui gagnent le contrôle des infrastructures et récoltent les bénéfices, tandis que le public assume les risques. Malgré ces efforts pour attirer le capital privé, celui-ci reste accumulé dans les secteurs high-tech du Nord global, évitant les économies en développement, jugées trop risquées4>Arun, A. 2023. (En ligne). Les projets d’infrastructure verts, souvent peu «liquides» et à rendement de long terme, ne répondent pas aux attentes des investisseurs, qui privilégient la sécurité et les profits à court terme.
Face à ces limites, une question s’impose: l’Etat n’est-il pas mieux placé pour réaliser des investissements durables? Contrairement au capital privé, motivé par la maximisation des rendements, le secteur public peut prioriser des objectifs écologiques à long terme. L’Etat a également une plus grande tolérance au risque et peut emprunter à moindre coût 5>Arun, A. 2023. (En ligne). Comme le conclut l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA): «Des fonds publics sont nécessaires de toute urgence.6>IRENA, Perspectives pour les transitions énergétiques mondiales 2023 – La trajectoire vers l’objectif de 1,5°C. 2023. (En ligne)» La crise du Covid-19 a d’ailleurs montré que les Etats, avec le soutien des banques centrales, peuvent mobiliser des ressources à grande échelle. Cette capacité pourrait être redirigée vers la transition écologique.
L’Etat doit-il prendre le relais? S’inspirant de cette idée, certains économistes proposent que l’Etat prenne les rênes de la transition écologique. Mariana Mazzucato affirme qu’historiquement l’Etat a joué un rôle clé dans l’innovation, indépendamment de la rentabilité immédiate. Par exemple, les technologies de base de l’iPhone – GPS, écrans tactiles et reconnaissance vocale – ont été financées par des fonds publics7>Mazzucato, M. The Entrepreneurial State, 2013.. Elle plaide pour une approche similaire dans la transition écologique. Ainsi, contrairement au mécanisme de «de-risking» qui donne le contrôle aux marchés financiers, l’Etat devrait directement investir dans des secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables, les infrastructures et l’innovation verte.
Allant plus loin, l’économiste Cédric Durand propose une planification écologique centralisée et démocratique, minimisant encore le rôle du capital privé. Il envisage un cadre basé sur une comptabilité écologique et des outils algorithmiques pour guider les décisions d’investissement de manière démocratique et alignée sur les objectifs écologiques8>Durand, C. 2025. (En ligne).
Ces propositions interrogent l’enjeu clé des politiques vertes: faut-il rendre la transition lucrative pour attirer les investissements? Ou le profit peut-il devenir secondaire, au service de priorités écologiques et sociales?
Une journée de conférences sur le financement de la transition écologique, organisée le 11 avril par Rethinking Economics Genève, permettra d’amorcer des réponses à ces questions**. Une table ronde clôturera l’événement, explorant le rôle du profit comme moteur et obstacle à la transition, avec des perspectives complémentaires: régulation du capital privé, planification écologique et coopération internationale.
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