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Le premier MeToo espagnol

Les écrans au prisme du genre

A quoi tient la réussite de L’Affaire Nevenka1>L’Affaire Nevenka (Espagne, 2024) de Iciar Bollain, coscénariste: Isa Campo, avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gomez., 12e long-métrage de la réalisatrice espagnole Iciar Bollain? Sans doute d’abord à un long travail d’écriture (deux ans) et de documentation tant auprès de la victime de l’affaire que de nombreux témoins de l’époque – 1999-2001. Si la fiction permet d’accéder à l’intimité et à la subjectivité de l’héroïne, le respect scrupuleux des faits (toutes les déclarations publiques, en particulier au procès, sont reprises telles quelles) évite à la fois schématisme et manichéisme. La réalité est suffisamment épouvantable pour que la fiction n’ait rien besoin de rajouter.

Après un prologue où on suit la protagoniste en panique dans les rues de sa ville, Ponteferrada – une ville moyenne du Léon, sur le chemin de Compostelle, au nord-ouest de l’Espagne –, on revient un an plus tôt, quand, à 25 ans, ses brillantes études supérieures à peine terminées, Nevenka Fernandez, dont la famille est proche du maire Ismaël Alvarez (Partido Popular, droite), est choisie par celui-ci pour devenir conseillère municipale. Tout sourire, habillée de robes élégantes et sobres qui mettent en valeur sa silhouette gracile, elle se retrouve du jour au lendemain responsable des finances de la ville par la grâce du maire, avec la complicité de tout l’entourage qui observe complaisamment l’opération de séduction dont le maire est coutumier. Nevenka, que tous appellent par son diminutif infantilisant Quenki, n’a aucune expérience politique, mais on comprend que les vieux caciques municipaux ont choisi cette jeune femme aussi jolie que docile pour rajeunir leur image en vue des élections. On connaît de multiples exemples en France de ce genre de situation.

La cordialité chaleureuse du maire, un quarantenaire récemment veuf, se transforme bientôt en drague lourde, à tel point qu’elle finit par céder à ses avances, pour se rétracter très vite, incapable de supporter le comportement possessif du patriarche. Sa vie va alors se transformer en enfer, harcelée par téléphone à toute heure du jour et de la nuit, humiliée en public, agressée sexuellement chaque fois que le maire se retrouve seul avec elle. Défendant sa dignité, elle serre les dents, avant de donner sa démission, mais le maire fait amende honorable pour l’en dissuader. Bien entendu, le harcèlement recommence; elle s’aperçoit alors que tout le monde lui tourne le dos, y compris ses parents, dépendants financièrement du maire.

Cet extrême isolement qui l’amène à s’enfermer dans son appartement en se coupant de l’extérieur ne sera rompu que par l’intervention de deux amies d’université qui la persuadent de quitter la ville pour retrouver à Madrid un ancien condisciple dont elle est amoureuse, et qui va désormais la soutenir et la protéger. La spirale infernale pourra alors commencer à s’inverser, grâce à la solidarité d’une conseillère de l’opposition (PSOE) et à un avocat madrilène prêt à la défendre. Nevenka Fernandez décide de porter plainte pour harcèlement sexuel contre le maire.

La dernière partie du film raconte le procès, où le procureur se distingue en l’accablant elle, plutôt que l’inculpé, pour ne pas avoir réagi plus vite au harcèlement. C’est là tout le problème de l’emprise d’un homme de pouvoir sur une jeune femme sans expérience, un mécanisme dénoncé aujourd’hui dans le milieu du cinéma d’auteur français, entre autres. Urko Olazabal, qui joue le maire, est totalement convaincant, brutalement tyrannique derrière une attitude affable, menant d’une main de fer son équipe municipale tout en pratiquant clientélisme et corruption, passant sans transition de la flatterie aux menaces avec Nevenka, jusqu’aux viols caractérisés.

La performance de Mireia Oriol est impressionnante: d’abord flattée par l’intérêt que lui portent le maire et son équipe, elle distribue généreusement ses sourires et ses offres de service alors qu’elle n’a visiblement aucun accès, malgré son efficacité, aux dossiers chauds que le maire garde sous le coude. Son malaise quand elle se retrouve à coucher avec lui laisse place rapidement à une véritable terreur qui s’exprime par un visage émacié, une démarche de zombie, et la sidération qui la paralyse quand elle subit des viols à répétition. La légèreté du début fait place à un climat tragique qui n’est pas dissipé lors du procès, même s’il aboutit à la condamnation du maire – première condamnation pour harcèlement sexuel contre un homme politique en Espagne. On apprendra dans l’épilogue que Nevenka Fernandez n’a jamais pu retrouver du travail dans son pays et qu’elle et sa famille vivent désormais à l’étranger.

Notes[+]

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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