La révolution oui, mais comment?
Dans deux de ses derniers posts Instagram, Bernie Sanders, ex-candidat à l’investiture démocrate étasunienne, décrit avec clarté et concision l’état du monde capitaliste. Il y montre que le terme péjoratif d’«oligarque», dont on affuble les milliardaires russes influents, proches du pouvoir, puissants économiquement et usant de méthodes douteuses, s’applique autant aux milliardaires de tous les pays, dont le sien. Ces milliardaires, pour accroître leurs bénéfices et leur puissance, accaparent les moyens de communication pour intervenir en politique et dans l’économie, aux dépens de la démocratie et des Etats. Les politiques néolibérales féroces de leurs entreprises ont conduit à des accroissements scandaleux de leurs fortunes, payés par un l’appauvrissement de leurs employés et du personnel de leurs prestataires. Les inégalités vertigineuses entre une infime minorité de super riches et une population croissante de travailleuses et travailleurs pauvres, jusque dans les pays les plus riches, ne cessent de croître. «Que faire?» se demandait Lénine…
Pour limiter les dégâts des oligarques, seuls des Etats disposant d’une justice indépendante, des moyens de la faire respecter, ainsi que de services publics protégeant la population, sont efficaces. Fréquents en Europe après la Seconde Guerre mondiale, ces Etats ne cessent de régresser sous les attaques néolibérales, tandis que les multinationales échappent à presque tous les contrôles étatiques. Par ailleurs, hormis peu de régimes «forts» maîtrisant leurs économies, les Etats dits démocratiques sont les clients obligés de leurs propres oligarques et des multinationales, en particulier pour l’équipement de leurs armées et de leurs polices, de leurs services régaliens et techniques de manière générale. Le politique, l’économique et le social sont tellement intriqués et dépendants qu’ils forment un système trop complexe pour être changé sans crises graves à effets humanitaires catastrophiques.
C’est une propriété générale des systèmes socio-économiques, comme des systèmes biologiques: leur capacité de transformation et d’adaptation diminue avec leur complexité. C’est ce qui, en biologie, conduit à l’extinction de lignées quand l’environnement change. Dans le cas des systèmes politiques, les famines ou l’excès de maltraitance des populations peuvent jouer le même rôle et contribuer au succès (humainement coûteux) de révolutions face à des régimes monarchiques ou impériaux qui passaient pour inébranlables. Mais dans le cas présent, c’est le système oligarchique lui-même qui promet son extinction en détruisant les ressources du futur, le climat et la biodiversité. Certains oligarques en sont si convaincus qu’ils s’aménagent des refuges potentiels, des résidences bunkers dans des lieux improbables… jusqu’à l’illuminé qui envisage un futur martien pour ses descendants!
Pour le citoyen de base, les moyens de lutte sont limités et l’action devient dangereuse dans la plupart des pays. Encore plus quand des conflits armés, souvent causés et entretenus par des oligarques spécialisés en trafics illégaux, précèdent et accélèrent le réchauffement climatique. S’il nous fournit un excellent résumé de l’état des lieux, Bernie Sanders ne nous propose pas de système clés en main pour remplacer l’oligarchisme qu’il dénonce. Certes, il conviendrait de revenir vers la démocratie en assurant le principe une personne – une voix et en privant les Etats comme les oligarques du contrôle de l’information, mais comment? Les techniques actuelles de manipulation des comportements détournent aujourd’hui beaucoup de gens de projets de vie cohérents et de la politique, au profit d’addictions à la consommation ou à des jeux à récompenses virtuelles. Nos sociétés ne fonctionnent encore que grâce à l’empathie et aux solidarités du plus grand nombre et à la résilience, ici ou là, de justices et de polices au service des citoyens plutôt que d’Etats totalitaires ou oligarchiques. Et une révolution permise par le désastre écologique en cours ne fait pas vraiment envie…
Dédé-la-Science, chroniqueur énervant.