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Qui paiera la pollution?

Repenser l'économie

Dans le pittoresque massif des Cévennes, une colline répand aux quatre vents des particules fines cancérigènes. Cette montagne de déchets qui empoisonne l’eau et la terre aux alentours est le produit d’une ancienne mine d’Umicore, géante belge depuis reconvertie dans le recyclage de métaux.

Les auteur·es du documentaire RTS La finance lave plus vert, en plein accord avec le principe du pollueur-payeur, considèrent que le nettoyage devrait être à charge de l’entreprise. Comment ne pas être d’accord? Pourquoi le contribuable, le consommateur, bref vous et moi, qui n’avons de toute évidence pas de responsabilité dans le choix des compagnies minières de laisser des montagnes de cochonneries dans les bois, devrions-nous payer la facture? Faire reposer le coût sur les entreprises relève du bon sens. Cela paraît n’être que justice et surtout ne pas toucher le quidam moyen, dont l’âme est pure. D’ailleurs, 57 entreprises ne causent-elles pas 80% des émissions de CO2?

Cette manière de présenter la question est toutefois trompeuse: les entreprises vendent en effet leurs produits à nous autres, contribuables et consommateur·trices. Faire payer une taxe carbone à Lafarge, la restauration des écosystèmes à Nestlé et le nettoyage des déchets miniers à Umicore, c’est augmenter leurs coûts et in fine les prix des logements et infrastructures, de l’alimentation, des biens de consommation. C’est donc une baisse de revenus réels, de pouvoir d’achat aussi sûre que celle qu’entraînerait une hausse d’impôts ou une baisse des salaires. C’est tout le principe d’une taxe carbone.

Mais je vous vois venir: pourquoi le coût ne reposerait-il pas sur les actionnaires, pourquoi augmenterait-il les prix plutôt que faire baisser les profits? Parce que dans une économie capitaliste, l’activité est financée par des investisseurs à la recherche de rendements et personne ne financera une cimenterie, une plantation de cacaotiers ou une mine s’il n’y trouve pas son compte. Si les entreprises devaient systématiquement éviter les pollutions ou réparer les dégâts causés, cela mènerait mécaniquement à des coûts de production et donc des prix plus hauts. Faire payer les dégâts ou leur prévention aux entreprises, c’est donc faire payer le consommateur.

On pourrait imaginer faire payer rétroactivement le coût de pollutions données – mettons la digue de métaux lourds des Cévennes – aux actionnaires de l’entreprise responsable. Le cas d’Umicore montre pourtant que ce ne serait pas nécessairement juste: le documentaire dénonce le fait que les actions de l’entreprise sont présentes dans un portefeuille «vert» dans lequel d’innocent·es épargnant·es investissent en pensant faire une bonne action. Faire payer à l’entreprise, reconvertie rappelons-le dans le recyclage, des pollutions datant d’il y a des décennies – et ainsi, selon le documentaire, la mettre en faillite – reviendrait à une taxe arbitraire sur ces actionnaires pour réparer les méfaits commis par quelqu’un d’autre il y a un demi-siècle. Etant des actionnaires, ces gens ont certes des chances d’être plutôt aisés et de ne point trop souffrir de cette confiscation. Il est toutefois des manières plus équitablement réparties d’imposer les riches, sans mettre à contribution au même titre un milliardaire et un prof cherchant à «verdir» les investissements de son troisième pilier.

On voit en tout cas bien que parler des entreprises comme d’une espèce de piñata pleine d’argent magique qui nous paiera les coûts des mesures écologiques, c’est passer à côté de la question essentielle: qui perd du pouvoir d’achat? Si l’on doit faire le maximum pour que les riches, qui consomment et polluent le plus et qui accessoirement possèdent les entreprises, soient les premiers et les principaux touchés, il ne faut pas se mentir en pensant que vous et moi, quidams moyens, ne devrons pas voir notre pouvoir d’achat baisser. D’abord parce que les riches qui consomment trop, à l’échelle mondiale, c’est vous et moi. Ensuite parce qu’une production plus écologique, qui protège les écosystèmes, capture et séquestre le carbone, utilise moins d’engrais chimiques, c’est tout simplement plus de travail humain pour produire la même chose et donc un coût économique. Les entreprises n’étant rien d’autre que des fictions légales, ces coûts devront être supportés par des personnes bien réelles. Tout l’enjeu est d’assurer que ce soient celles qui en ont les moyens.

L’auteur est diplômé en histoire économique et membre de Rethinking Economics Genève.

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mardi 27 février 2024

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