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Contre les génocides, de la Palestine au Brésil

Dans le cadre du Sommet des peuples organisé en marge du G20 à Rio de Janeiro, la solidarité avec le peuple palestinien s’est fait entendre. Portant une vision féministe de la paix et de la sécurité publique, la Marche mondiale des femmes a appelé à «rompre avec la logique militarisée de la colonialité» en Palestine, au Brésil, comme ailleurs.
Solidarité

«Stop aux massacres, de la po-lice militaire dans les périphéries et d’Israël en Palestine!»1>«Chega de chacina, PM na favela e Israel na Palestina!».; «Les enfants de Gaza sont nos fils au Brésil!». C’est notamment avec ces slogans que les mouvements populaires au Brésil expriment leur soutien au peuple palestinien, sous le joug colonial depuis 76 ans. Des mots qui ont résonné à Copacabana le 16 novembre, lors d’une marche rassemblant 10’000 personnes issues des mouvements sociaux féministes, antiracistes, autochtones, étudiants, paysans, de lutte pour la justice sociale et environnementale sous une pluie battante, avec le mot d’ordre «pour la Palestine libre de la rivière à la mer» et contre l’impérialisme.

Face au G20 qui s’est tenu les 18 et 19 novembre dans la même ville, un Sommet des peuples avait aussi été organisé2>Lire aussi Anaïs Richard, «Société civile face au G20», Le Courrier du 19 novembre 2024, ndlr.. Au programme, débats en plénières et ateliers thématiques, mais aussi un tribunal populaire qui a mis l’impérialisme sur le banc des accusés pour les crimes suivants: génocide, induction de la pauvreté, guerre économique, violation de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples, racisme structurel et environnemental.

Dans un format théâtral puissant, un jury populaire – composé de représentant·es de peuples atteints par l’impérialisme – ainsi qu’un millier de personnes dans l’assemblée, ont écouté six té-moins s’exprimer: Rula Shadeed, avocate palestinienne, sur le génocide en Palestine; Morgan Ody, paysanne française et membre du secrétariat international de la Via Campesina, et Raiara Pires, du Mouvement pour la souveraineté populaire dans le secteur minier et du Front brésilien contre l’accord Mercosur-UE, sur ce traité; Aleida Guevara, pédiatre cubaine et fille d’Ernesto Che Guevara, sur le blocus imposé à Cuba; Henry Boisrolin, coordinateur du Comité démocratique haïtien sur le cas de Haïti; Marcelo Dias, avocat carioca et dirigeant national du Mouvement noir unifié (Movimento negro unificado, MNU), sur le génocide de la jeunesse noire à Rio de Janei-ro; ainsi que Vanilda Aparecida de Castro Souza, sur le cas de la rupture du barrage de Mariana (2015).

Avant de conclure à la culpabilité des puissances occidentales sur le banc des accusés, et de souligner, comme l’a exprimé Yildiz Termürtürkan, secrétaire internationale de la Marche mondiale des femmes (MMF), dans les délibérations du Jury populaire, que «les peuples du monde ont le droit de résister, le droit de lutter contre ce système injuste et pour leur propre libération et émancipation».

«Quelle est la couleur de celles et ceux dont le génocide ne mérite pas de pages dans les livres d’histoire?»

Au cœur de la mobilisation à Rio, la solidarité avec le peuple palestinien, renforcée depuis le déclenchement de l’assaut génocidaire d’Israël contre Gaza, ne date pourtant pas du 7 octobre 2023. Le processus d’expulsion et d’accaparement des terres vécu par les Palestinien·nes, mais également la militarisation de la vie et le massacre de la population civile – notamment les enfants – présentée comme «l’ennemi», criminel ou terroriste, sont des éléments qui font écho avec la réalité vécue par une partie de la population brésilienne.

Une logique de déshumanisation qui remonte aux origines coloniales du Brésil et qui est dénoncée comme un génocide par les mouvements sociaux de gauche, comme l’explique Dara Sant’Anna, coordinatrice du Movimento negro unificado de Rio de Janeiro et militante de la MMF: «Le génocide de la population noire est le résultat du processus de colonisation et de l’exploitation qui l’accompagne. Il existe un ‘pacte narcissique de la blanchité’, comme le dit Cida Bento3>Cida Bento, Le pacte de la blanchité, Editions Anacaona, 2023. www.anacaona.fr/boutique/le-pacte-de-la-blanchite-whiteness-studies/, élaboré pendant la période de marchandisation et de colonisation, qui crée un scénario d’absence d’empathie envers les populations non blanches, considérées comme l’autre qui peut et doit être éliminé. (…) Pour quelles victimes les musées et les accords internationaux sur les droits humains sont-ils construits? Quelle est la couleur de celles et ceux dont le génocide ne mérite pas de pages dans les livres d’histoire?»

Dara Sant’Anna pointe la coopération entre les forces armées du Brésil et de l’Etat hébreu: «Israël assure la formation des policiers qui tuent les Noirs au Brésil». L’utilisation d’armes et d’équipements de surveillance israéliens testés en Palestine pour contrôler et opprimer la population pauvre du Brésil est dénoncée par des collectifs et organisations des deux pays, comme l’explique la journaliste carioca Gizele Martins4>Gizele Martins, «Como o BOPE e o exército de Israel compartilham as mesmas táticas militares», Intercept Brasil, 21 octobre 2024. www.youtube.com/watch?v=xAYZFGL2JG8&t=12s; Voir aussi Boycott, Désinvestissement, Sanctions: «O povo palestino se solidariza com o povo oprimido nas favelas do Brasil», 9 août 2023, bdsmovement.net/pt/news/o-povo-palestino-se-solidariza-com-o-povo-oprimido-nas-favelas-do-brasil. Des violences policières qui ne sont que la pointe de l’iceberg: «L’absence et le désengagement des politiques publiques dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’aide sociale constituent un appareil structurel de génocide» souligne Dara, qui appelle à une compréhension féministe de la paix et de la sécurité publique.

Contre la militarisation, connecter les luttes

Une vision élaborée notamment au sein de la Marche mondiale des femmes dont Dara Sant’Anna fait partie: «Notre mouvement est organisé aussi bien au Brésil que d’autres pays d’Amérique latine, d’Afrique ou en Palestine. Lorsqu’on discute avec ces femmes de différents territoires en guerre, apparaît clairement la nécessité qu’elles s’organisent pour rompre avec la logique de militarisation.» La militante évoque la position spécifique des femmes dans ce scénario global: «Elles jouent un rôle de premier plan dans la lut-te pour ce territoire, la lutte pour leurs enfants, la lutte pour une perspective d’avenir.»

Et de relever, à propos de «celles qui restent, se battent et persévèrent» en tant que «gardiennes de la culture et du territoire», leur rôle fondamental pour la transmission de la culture menacée d’extermination d’une part, et pour la confrontation des idées d’autre part. Pour cette raison, «le corps des femmes est traité comme un territoire de guerre» par les agents de la militarisation, qui peut être violenté pour être réduit au silence.

Pour une sécurité publique féministe

Le débat sur la paix et la dé-militarisation est ainsi l’un des quatre axes autour desquels s’articule la lutte des militantes de la MMF. Comme l’explique Dara, au-delà d’un débat sur les armes, il s’agit de «rompre avec cette logique militarisée qui induit une hiérarchie, l’obéissance et la standardisation. Les femmes se battent précisément contre cela parce que la standardisation qui nous est imposée par la colonialité est celle de l’homme blanc, cisgenre, hétérosexuel comme corps universel. Et lorsque les femmes revendiquent leurs droits, exigent d’occuper des espaces, elles veulent rompre avec cette logique et montrer que la diversité est présente. Ce que nous voulons, c’est le respect des cultures, des corps différents, une société guidée par le soin et qui ne relève pas seulement de la responsabilité des femmes. Si ce sont les personnes chargées du care qui orientent ce débat, on construira une logique selon la-quelle, pour être en sécurité, on n’a pas besoin d’armes, mais d’une éducation de qualité, d’investissements dans la santé, dans les domaines fondamentaux pour la vie, et non dans la mort.»

La militante appelle donc à se détacher de cette logique de l’insécurité et de la peur, qui génère un marché très lucratif – pour les multinationales actives dans l’assurance, la sécurité, l’armement et le contrôle social: «Une société en paix est une société de solidarité et de responsabilité collective en matière de soins. Il n’y a aucune possibilité de construire une société pacifique tant que nous sommes pris en otage par les grands conglomérats du capital et le patriarcat, parce qu’ils sont intéressés par la concentration des richesses. Il n’y a aucune possibilité de paix dans une société entourée de murs et d’armes. La principale exigence en termes de paix et de démilitarisation est donc de rompre avec ce patriarcat, avec cette logique militaire, et d’investir dans une société de soins et de bien vivre.» Ce qui implique la construction de politiques publiques investissant dans l’éducation, la préservation de l’environnement, la mobilité urbaine et la santé publique, gratuite et de qualité.

Un message qui a résonné avec force dans les rues de Rio, juste avant que les principales puissances économiques et militaires n’entament leur réunion au G20, et qui pose les bases fondamentales de la société que nous voulons.

Notes[+]

* Marche mondiale des femmes, São Paulo, Brésil.

Opinions Agora Gaëlle Scuiller Solidarité

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