Victimes de violence mieux protégées?
Dans le cadre de la campagne contre les violences sexistes et sexuelles qui s’ouvre actuellement à Genève (lire ci-dessous), F-information a publié une brochure1>Téléchargeable sur le site de F-information (www.f-information.org/) ou disponible au format papier dans ses locaux (67, rue de la Servette). qui regroupe des «Bon à savoir» – textes rédigés par les juristes de l’association – sur les thématiques liées aux violences domestiques. L’occasion de faire le point sur certaines évolutions du droit. Et de mettre en lumière les effets qu’elles déploient dans la pratique, à partir de constats issus des consultations juridiques proposées par l’association.
Genève en campagne
Contre les violences sexistes et sexuelles
Du 11 au 30 novembre, le canton, la Ville de Genève et un large réseau d’associations dont F-information, de collectivités publiques et d’institutions qui s’engagent toute l’année pour sensibiliser le grand public, former les différents corps professionnels et accompagner les victimes de violences organisent conjointement une campagne d’affichage dans l’espace public et une programmation événementielle1. Le but: appeler à une mobilisation collective contre les violences sexistes et sexuelles dans le sillage de la Journée internationale du même nom célébrée chaque 25 novembre. Dans le cadre de la campagne, F-information organise le 26 novembre un cercle de parole sur le thème des violences économiques, «L’argent dans le couple: moyen d’épanouissement ou de domination?»2. CB/MP
1 Un site propose de nombreux outils et ressources: https://evenements.geneve.ch/25novembre-geneve/
2 Ma. 26 novembre à 18h30, F-information, 67, rue de la Servette, Genève. Gratuit sur inscription jusqu’au ve. 22 novembre par email (femmes@f-information.org) ou téléphone (022 740 31 00). Infos: www.f-information.org/
Au pénal, l’infraction de viol
Sur le plan pénal, tout d’abord, la principale évolution récente est la réforme du droit pénal en matière sexuelle, qui est entrée en vigueur en juillet dernier. Dans ce cadre, l’infraction de viol a été redéfinie. Dorénavant, les «personnes de sexe féminin» ne sont plus les seules victimes potentielles et il n’est plus nécessaire de prouver la contrainte pour qualifier un viol. Ceci doit permettre de tenir compte de l’état de sidération dans lequel sont plongées de nombreuses victimes. Selon le nouvel article 190 du Code pénal, tout acte sexuel (ou acte analogue impliquant une pénétration) commis contre la volonté de la personne est constitutif d’un viol. Durant la phase d’élaboration de la réforme, la notion du consentement a fait débat. Finalement, le parlement a préféré la solution «un non est un non» plutôt que «seul un oui est un oui».
La plupart des organismes engagés sur les questions des violences sexistes et sexuelles déplorent ce choix. En effet, selon cette notion de «volonté», on ne demande pas à l’auteur s’il a cherché à savoir si la victime était consentante. C’est à la victime de signifier – par des mots ou par des gestes – qu’elle n’est pas consentante. Pour retenir l’infraction de viol, il faut donc prouver que l’auteur a eu l’intention de violer la victime, en outrepassant son refus ou en exploitant son état de sidération. Or cette preuve est très difficile à amener. On doit pouvoir déduire des faits, du contexte, que l’auteur devait savoir que la victime ne souhaitait pas avoir de rapport.
En pratique, nous observons que la notion de «volonté», telle qu’inscrite dans la loi, donne lieu à une forte reproduction de catégorisations genrées dans l’évaluation des faits et du contexte de l’infraction. Lors des audiences, les juges cherchent à savoir si la victime a fait tout ce qu’on pouvait attendre d’une personne «normale» qui ne désire pas un rapport sexuel, tombant ainsi dans le mythe de la «bonne victime». Cette représentation stéréotypée du viol donne lieu à une inversion de la culpabilité, la victime devenant coupable de ne pas avoir eu le comportement que la société pouvait attendre d’elle.
De manière générale, nous faisons le constat que les procédures pénales sont très peu adaptées aux infractions sexuelles. La plupart des femmes qui consultent F-information ne souhaitent pas porter plainte, car les procédures sont longues, coûteuses, éprouvantes et qu’elles risquent de perdre le procès par manque de preuve. Il est très difficile pour la victime de devoir raconter plusieurs fois ce qu’elle a vécu, de devoir côtoyer son agresseur au tribunal2>Elle ne voit pas le prévenu pendant l’audience (un paravent les sépare), mais elle l’entend et le voit à l’entrée, à la sortie et durant les pauses. et d’entendre l’agression décortiquée et remise en question par l’avocat·e de la défense et les juges.
Au civil, les mesures de protection
Sur le plan civil, l’article 28b du Code civil permet aux personnes victimes de violences, de menaces ou de harcèlement de demander au tribunal d’interdire aux auteurs des violences de les approcher, de fréquenter certains lieux et de prendre contact avec elles. Cet article prévoit également la possibilité d’éloigner l’auteur des violences du logement familial. Parmi les personnes reçues dans les consultations juridiques à F-information, la question du logement est centrale. L’éloignement de l’auteur des violences du logement familial, lorsqu’il est prononcé, est donc un moyen efficace de protéger les victimes.
Depuis le 1er janvier 2022, les juges qui ordonnent une mesure de protection peuvent prévoir une surveillance électronique afin de garantir son application. Par ailleurs, depuis 2020, les frais de procédure ont été supprimés pour les victimes de violences, menaces ou harcèlement. Ceci facilite la mise en application des mesures de protection, car jusque-là les frais judiciaires pouvaient décourager les victimes à entamer une procédure civile. En outre, l’étape préalable de la conciliation a aussi été supprimée. Cela permet de raccourcir la durée de la procédure et de ne pas obliger la victime à discuter avec la personne qui lui a fait subir des violences. Enfin, le tribunal doit communiquer lesdites mesures aux autorités de protection de l’enfant et de l’adulte, ainsi qu’à toutes les autres autorités ou tiers concernés. Ceci doit garantir une meilleure coordination des mesures de protection des victimes entre autorités.
Une avancée majeure pour les migrantes victimes
Sur le plan administratif, la modification de l’article 50 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), adoptée en juin dernier par le parlement fédéral, constitue une grande avancée pour les personnes étrangères victimes de violences domestiques. Cette victoire est le fruit d’un engagement sans faille d’ONG, de parlementaires et nombreuses associations de terrain, dont F-information.
L’article 50 LEI édicte les conditions de renouvellement du permis de séjour délivré suite à un mariage (avec une personne suisse ou titulaire d’un permis de séjour) alors que le couple s’est séparé. Il faut que l’union conjugale ait duré au moins trois ans et que l’intégration soit réussie. Un renouvellement est également possible lorsque la poursuite du séjour s’impose pour des raisons personnelles majeures – ce qui peut être le cas lorsque la personne est victime de violences conjugales. Ces violences doivent atteindre un seuil de gravité élevé: l’auteur doit avoir infligé des mauvais traitements systématiques à la victime pour affirmer sa supériorité et exercer un contrôle sur elle1. De plus, il faut pouvoir établir qu’en raison de ces violences, la personnalité de la victime est sérieusement menacée du fait de la vie commune et que la poursuite de l’union conjugale ne peut être raisonnablement exigée.
Avant la révision, l’article 50 LEI et son application posaient plusieurs problèmes. D’abord, le renouvellement de permis n’était un droit que pour les conjoint·es de personnes suisses ou titulaires d’un permis C. Pour les autres (conjoint·es d’un·e titulaire de permis B, F ou L), le renouvellement était une possibilité et non un droit, ce qui instaurait une inégalité de traitement selon le type de permis concerné. Ensuite, du fait que les autorités migratoires disposent d’une large marge de manœuvre, il était difficile de prévoir comment elles évalueraient les critères. Enfin, il était très difficile d’amener la preuve de ces violences.
Le nouvel article 50 LEI supprime l’inégalité de traitement selon le type de permis. Dès lors que les conditions sont remplies, toute personne a droit au renouvellement de son permis de séjour, quel que soit le permis de séjour de son (ex)conjoint·e. De plus, l’expression «violence conjugale» a été remplacée par «violence domestique», ce qui permet d’inclure les violences commises à l’égard des enfants. En outre, les partenaires non marié·es pourront, dans certains cas, bénéficier de la même protection que les personnes mariées. Enfin, les indices de violence domestique que l’autorité prendra en compte figureront dans la loi et les attestations d’institutions spécialisées (centres LAVI et institutions bénéficiant de subventions publiques) en feront partie.
Cela étant, nous regrettons que seul un délai d’un an soit octroyé aux victimes de violences domestiques pour se (ré)insérer dans la vie professionnelle. L’initiative demandait un allongement de ce délai à trois ans. On observe que l’une des conséquences de la violence domestique est l’isolement. Si l’on ajoute à cela les traumatismes que peuvent engendrer la violence domestique, on imagine bien qu’imposer une réintégration du marché du travail seulement un an après la séparation est trop exigeant. De plus, et malgré les modifications décrites ci-dessus, il reste très difficile de prouver les violences et il est dangereux pour les victimes de devoir attendre le point culminant de la violence pour obtenir une protection.
Finalement, on relèvera encore que les personnes sans statut légal ne bénéficient d’aucune protection face à la violence domestique. De manière plus générale, elles ne bénéficient pas d’un accès à la justice, sous peine de se dénoncer aux autorités. CB/MP
1 Arrêt du Tribunal fédéral 2C_295/2012 du 5 septembre 2012, consid. 3.2.
Notes
* Juristes à F-information.