Pour la presse, ça urge !
«L’heure est venue de parler de soutien concret», lance Florio Togni, président de la Nouvelle association du Courrier, l’éditeur du titre, aux quelque 200 personnes venues s’enquérir mercredi soir de l’avenir des médias régionaux. Dans cette grande salle tamisée de la Maison internationale des associations, les visages sont dubitatifs. Il faut dire que les voyants sont au pourpre pour le secteur, toutes catégories confondues. Quelques heures avant le début de la soirée, Tamedia informait des départs de Frédéric Juillard, rédacteur en chef de la Tribune de Genève, et de son homologue de 24 heures, Claude Ansermoz. Deux départs qui s’ajoutent aux annonces de licenciements, aux fermetures d’imprimeries et autres cures d’amincissement proposées par le géant zurichois ces dernières semaines.
Pour enrayer cette érosion, qui touche l’ensemble de la presse romande, «il faut briser le tabou de l’aide directe», lâche d’emblée Philippe Bach, rédacteur en chef du Courrier. Et d’ajouter que d’autres pays ont depuis longtemps sauté le pas. «La France verse chaque année plusieurs centaines de millions d’euros aux médias. Par exemple, le Monde ou le Figaro perçoivent près de dix millions chacun», détaille-t-il.
L’idée ne fait pas mouche autour de la table. Madeleine von Holzen, rédactrice en chef du Temps, n’est pas d’accord «sur le principe», du fait de l’influence politique qui risquerait de s’exercer sur les médias subventionnés de cette manière. L’intervention suscite quelques levées de sourcils dans la salle. Depuis 2021, la fondation Aventinus détient la quasi-totalité de la société éditrice du Temps: «N’est-ce pas une forme d’aide directe?» demande-t-on dans l’assistance. «La structure a été pensée pour garantir l’indépendance éditoriale», répond Madeleine von Holzen.
Philippe Bach rebondit: «Dans le cas d’une aide directe de l’Etat, il faudrait aussi bien sûr prévoir des dispositifs équilibrés et garants de la neutralité médiatique. En France, ce n’est pas Emmanuel Macron qui décide où va l’argent.» A Genève, un projet de loi récemment déposé par le Parti socialiste prévoit par exemple la création d’une fondation de soutien à la presse dotée d’un conseil d’administration mixte. Celui-ci serait composé par un tiers de spécialistes du domaine des médias nommé·es par le Conseil d’Etat, un tiers de représentant·es de la profession nommé·es par les associations de journalistes et un tiers d’habitant·es du canton.
Pas de «mesurettes»
Toujours pas de quoi convaincre Madeleine von Holzen, qui estime qu’il existe «d’autres mesures à prendre avant l’aide directe». A commencer par le développement de l’aide indirecte. Stéphane Estival, président de Médias Suisses, la faîtière du secteur, rappelle qu’un texte est débattu en ce moment au Conseil des Etats. «L’idée est d’augmenter de 15 millions de francs l’enveloppe qui aide les titres à envoyer leurs journaux par la poste. Cela porterait ce budget à 45 millions de francs par an. Le problème, c’est que pour rallonger ce montant, le Conseil national a choisi de biffer les 20 millions de francs qui étaient alloués à la presse associative et des fondations.» Une manière de «déshabiller Pierre pour rhabiller Paul», estimait Jérôme Béguin, journaliste à L’Evènement syndical, dont nous relations les propos dans notre édition d’hier.
Madeleine von Holzen propose d’autres solutions encore: «Il faudrait aussi que les services de l’Etat s’abonnent plus largement aux quotidiens régionaux. Il en faudrait dans chaque bibliothèque, dans chaque école», insiste-t-elle. Frédéric Juillard souhaite que ce soutien s’étende aussi à la publicité. «Si la Ville servait du vin vaudois lors d’un évènement, on se scandaliserait. Pourtant, lorsqu’elle place ses annonces sur des plateformes en ligne, dont les revenus finissent dans des paradis fiscaux, on ne dit rien.» Ce à quoi Alfonso Gomez, magistrat chargé des Finances à la Ville, répond: «On pourrait toujours augmenter les petits soutiens de ce genre, mais cela ne résoudrait pas le problème structurel. Il faut des investissements à la hauteur pour cette politique publique fondamentale qu’est le droit à l’information de qualité.» Son homologue du Conseil d’Etat, Nathalie Fontanet, qui devait être présente au débat, n’a quant à elle pas pu donner son avis, réunions sur le budget de l’Etat oblige.
Lex GAFAM
Dans le public, ça cogite fort. Les idées fusent. La colère aussi, parfois, contre ces médias qui auraient «perdu la confiance de leurs lectorats», contre les GAFAM aussi, qui «propagent de plus en plus de fake news». Une proposition revient à plusieurs reprises sur la table: adapter le droit d’auteur suisse à l’évolution du numérique, «surtout à travers les droits voisins», martèle Serge Gumy, directeur du groupe fribourgeois St-Paul médias. Une avancée en la matière impliquerait que les grands services en ligne versent une rémunération aux médias pour l’utilisation de leurs contenus.
Le projet n’est pas sans rappeler la «loi Netflix», qui contraint désormais le géant du streaming et les autres plateformes à affecter 4% de leurs recettes brutes réalisées en Suisse au secteur du cinéma helvétique. Concernant la presse, les discussions sont en cours au niveau fédéral, mais risquent de prendre encore du temps pour aboutir à un projet concret en faveur des médias en péril. En attendant, Le Courrier esquisse plusieurs pistes dans un appel pour la survie de la presse régionale (à signer en ligne).
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