Urbanisme et santé, un lien à défendre
Depuis quelques années, les autorités communales cherchent à redonner vie à leur centre-ville, souvent déserté entre autres par les habitudes d’achat d’une population incitée depuis au moins trente ans à se rendre dans des hypermarchés en périphérie, ou toujours plus encline à s’orienter vers les achats en ligne. Les petits commerces historiques «tirent la langue» et la diminution des places de parc est leur hantise. Dans les discussions politiques, la question de la mobilité prend le dessus et l’on voit s’affronter les provoitures et les défenseurs d’une mobilité douce. Je viens de le vivre dans ma ville d’Aigle où l’enjeu majeur de la requalification du centre-ville a été (et est encore) le nombre de places de parc, alors que le projet proposé était bien plus ambitieux et visionnaire. Peut-être, comme l’a fait Aigle, pense-t-on à engager un économiste dans l’espoir d’un renouveau marchand – surtout pour essayer de montrer aux commerçant·es qu’on ne les oublie pas… Et si on s’intéressait au bien-vivre et à la santé des habitant·es?
Un article 1>Giles-Corti et al., «City planning and population health: a global challenge», The Lancet, 10 décembre 2016, https://tinyurl.com/4cv7k2bs du Lancet, paru en 2016 déjà, nous rappelle que pour lutter contre les épidémies – bien plus ravageuses dans les villes qu’à la campagne –, des systèmes d’évacuation des eaux usées et de canalisation d’eau potable ont été mis en place et que, dès le XIXe siècle, on a assez vite compris qu’il valait mieux séparer les zones industrielles des zones d’habitation pour diminuer les risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique. On voit par ces deux exemples que la prise en compte des problèmes de santé publique a exercé une influence sur l’urbanisme et a permis dans une grande mesure d’améliorer les conditions de vie et la santé des populations urbaines.
Au XXIe siècle sont venus se greffer d’autres problèmes de santé. Les aborder dans la planification urbaine est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui déjà plus de la moitié de la population mondiale vit en ville ou dans ses banlieues. Et la tendance est plus élevée encore en Europe puisque trois personnes sur quatre sont citadines. C’est donc une réalité qui dépasse largement nos frontières – de ce point de vue la Suisse est déjà européenne!
Aujourd’hui, les enjeux posés par l’aménagement des villes et des quartiers devancent la production de logements salubres. Aux préoccupations toujours actuelles d’un air pur, d’une eau propre et d’évacuation des eaux usées s’ajoutent de nouveaux défis, en particulier la lutte contre les facteurs de risques des maladies chroniques non transmissibles et les risques sanitaires liés à des phénomènes climatiques extrêmes (comme les récentes inondations en Espagne).
Un des enjeux de santé publique majeur actuel est la sédentarité, avec l’obésité qui en découle souvent, augmentant le risque de maladies cardio-vasculaires, de diabète, de certains cancers mais aussi de troubles mentaux. C’est donc un vrai défi pour les urbanistes de lutter contre ce fléau du XXIe siècle, comme le considère l’OMS: comment créer un environnement urbain qui favorise la pratique d’activités physiques intégrées au quotidien. Cela passe par des cheminements piétonniers sécurisés, en particulier pour les écoliers et les seniors; une priorisation de la mobilité douce pour les trajets courts (moins de 3 km, par exemple); la création de lieux pour se rencontrer et jouer – arborisés pour lutter contre les îlots de chaleur; le contrôle de la vitesse des voitures – pour diminuer entre autres le bruit, qui entraîne une augmentation des troubles psychiques, mais aussi le risque et la gravité des accidents de la circulation. Parallèlement, il s’agit de dégrapper le bitume pour rendre les sols perméables et ainsi diminuer le risque d’inondations ravageuses; diminuer drastiquement la pollution de l’air en favorisant les transports publics; améliorer l’isolation des bâtiments et les équiper d’une source d’énergie non fossile.
Nos prédécesseurs ont su répondre aux problèmes de santé de l’époque et aujourd’hui personne ne remet en question l’importance des conduites d’eau potable et celles des eaux usées. Pourquoi est-il si difficile de faire admettre que ces quelques modifications proposées, et bien connues, vont nous permettre de lutter contre les maladies non transmissibles les plus courantes et leurs facteurs de risque bien identifiés, et être ainsi mieux préparés contre les dérèglements climatiques?
Ne dit-on pas que la santé n’a pas de prix?
Notes
* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.