Chroniques

Justice internationale et impunité

Transitions

Le monde hurle d’effroi et d’exaspération devant les crimes de guerre commis sous nos yeux par Israël à Gaza et au Liban. On n’a plus de mots assez forts pour dire l’indignation ressentie face à cette folie vengeresse. Bon sang, que ça s’arrête! C’est ça le hurlement du monde. Qui peut répondre?

L’armée israélienne a procédé à une sorte de déshumanisation de la guerre, traitant les Palestiniens d’«animaux humains», et décrétant sans états d’âme qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza. Quiconque n’obtempère pas aux ordres de quitter les zones de bombardement est considéré comme un combattant; s’il en meurt, c’est qu’il l’a bien voulu. En fait de déshumanisation ce sont les opérations militaires, confiées aux logiciels de l’intelligence artificielle, qui en sont le prototype. Par ailleurs, la machination des bipeurs qui explosent sur commande, livrés aux sympathisants du Hezbollah, est l’une des opérations les plus vicieuses que je connaisse! Que des civils non armés, profitant d’un instant de calme pour vaquer à leurs occupations, rencontrent soudain la guerre au fond de leur poche. C’est une attaque terroriste, même si, dans nos sociétés occidentales, ce terme est généralement réservé aux milices djihadistes.

Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, hurle aussi, mais rien n’y fait. Son impuissance est pathétique! Quant à nos gouvernements, lâches ou complices, ils semblent consentir au carnage, par abdication du devoir de rétablir l’Etat de droit. Peut-on compter sur la justice internationale? Elle ne hurle pas, elle, mais elle s’active à bas bruit. De la Cour internationale de justice (CIJ) a surgi un frêle espoir, suite à l’accusation de génocide lancée par l’Afrique du Sud à l’encontre du gouvernement israélien. L’organe onusien s’est fendu d’une résolution intimant l’ordre au présumé coupable de «prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre un génocide»; c’est bien dit mais peu contraignant. Cette injonction s’est heurtée à la posture hiératique de refus permanent de Benyamin Netanyahou. Du côté de la Cour pénale internationale (CPI), le Procureur Karim Khan s’est décarcassé pour dresser un acte d’accusation pour crimes de guerre contre le premier ministre israélien et son ministre de la Guerre, ainsi que contre les chefs du Hamas, mais les mandats d’arrêt tardent à être délivrés. Pourtant, la Cour a su faire preuve de célérité pour lancer un tel mandat contre Vladimir Poutine (dont ce dernier semble ne tenir aucun compte). Soumis à des pressions incessantes de la part des alliés d’Israël, la CPI n’avance plus et il est fort peu probable que M. Netanyahou se retrouve en prison prochainement.

De manière générale, on reproche à la justice internationale d’épargner les vainqueurs et les puissants, et de ne poursuivre que les criminels qui sont à sa portée: des subalternes ou des despotes africains fauteurs de guerre. A noter qu’aucun président des Etats-Unis n’a jamais été condamné, ni pour la guerre en Irak, ni pour les crimes commis au Vietnam ou en Afghanistan… L’ancien et premier procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo1>El Païs, 22 octobre 2024., remarque que si les élus américains soutiennent l’enquête sur Poutine en tant que criminel de guerre, ils s’y opposent dans le cas de Netanyahou parce qu’ils raisonnent en termes d’amis ou d’ennemis. Les procureurs, eux, pensent en termes de crime ou de non-crime. J’ajouterais que, pour la Cour elle-même, c’est parfois selon les opportunités géopolitiques. Caustique, l’ancien procureur poursuit: «Les Etats-Unis aiment la guerre, surtout quand ils fournissent les armes et que d’autres fournissent les vies»!

Dans notre Suisse, notoirement mal disposée à l’égard de la justice internationale, les justiciers sont au Parlement et au Conseil fédéral plutôt que dans les tribunaux. Saluons tout de même l’initiative courageuse d’un collectif jurassien qui a déposé auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) une plainte pénale contre le gouvernement israélien. Arrêter Benyamin Netanyahou à Berne comme Augusto Pinochet l’avait été en 1998 à Londres? On peut toujours rêver. Mais, comme on pouvait s’y attendre, le MPC n’est pas entré en matière et les intrépides Jurassiens ont recouru au Tribunal pénal fédéral (TPF) dont ils attendent la réponse. En revanche, nos autorités font partie de ceux qui condamnent, politiquement, sans preuves ni procès, dans le sillage de l’impunité israélienne. Un processus est en marche pour interdire le Hamas et le Hezbollah et priver définitivement l’UNRWA, l’organisation de soutien aux Palestiniens, de l’aide financière à laquelle elle avait droit jusqu’ici. On «risquerait», a argumenté une conseillère nationale, de voir l’argent qu’on lui verse filer directement dans la bourse du Hamas. En matière de justice et de droits humains, on peut faire mieux.

Les assassinats des chefs du Hamas et du Hezbollah peuvent-ils faire espérer un apaisement ou n’aurons-nous toujours face à nous qu’un Benyamin Netanyahou impavide, annonçant d’une voix mécanique qu’il poursuit sa guerre? Devrons-nous assister à l’agonie de Gaza, de la Cisjordanie et du Liban avant que la justice parvienne à contrecarrer cette folie messianique? Pour le moment, nous restons là, les mains vides, dans la détestation de notre impuissance.

Notes[+]

Ancienne conseillère nationale. Récente publication:
En passant… chroniques & carnets,
Editions d’en bas/Editions Le Courrier, 2024.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary Droit

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lundi 8 janvier 2018

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