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OGM et super plantes, mythe ou réalité?

Luigi D’Andrea, de l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique, réagit à une récente agora de Jean-David Rochaix favorable à la levée du moratoire suisse sur les organismes génétiquement modifiés (OGM).
Débat

Dans les débats relatifs aux nouvelles techniques de génie génétiques (NTGG), il est ahurissant de constater à quel point les arguments en faveur d’une dérégulation ne reposent sur aucune base scientifique ni perspectives réelles de marché. Ils font référence à des promesses construites de toutes pièces par certains industriels qui répètent pouvoir développer des super plantes pour répondre aux divers défis agricoles. Pour forcer l’acceptation d’une technologie, il est facile d’utiliser la peur (s’adapter aux changements climatiques, nourrir la population) ou l’espoir. Mais y croire relève de la foi et non de la science. Est-ce suffisant pour déréguler le génie génétique en Suisse?

Un coup d’œil dans le passé nous apprend que les OGM sont des organismes brevetés, contrôlés par très peu de firmes qui détiennent aussi les brevets sur les fameux ciseaux génétiques CRISPR/Cas. Ces multinationales ont racheté la plupart de leurs plus petits concurrents et brevètent dans le seul but de restreindre l’accès à la diversité génétique. Les sélectionneurs suisses ne pourront jamais utiliser CRISPR/Cas car leur marché ne leur permettra aucunement de couvrir les frais de licence, à moins d’augmenter massivement le prix des semences, et donc de la nourriture.

Ces firmes – malgré l’absence de régulation depuis plus de 30 ans dans certains pays – n’ont développé que des OGM qui tolèrent un ou plusieurs herbicides et/ou produisent des toxines insecticides, sans augmenter les rendements. Les Etats-Unis ont des problèmes de supers ravageurs et de sécheresse, mais aucune plante CRISPR n’y répond. Et rien dans le pipeline des industries pour les dix prochaines années.

Pourquoi? En réalité, l’ADN n’est qu’une information et non un programme (donc un code). Dans le génome humain par exemple, 98% de l’ADN ne code «rien». Les génomes sont des entités extrêmement complexes. Probablement les systèmes les plus complexes sur Terre, dont nous connaissons encore très mal le fonctionnement. Ainsi, le mythe consiste à dire qu’il suffit de modifier quelques lettres du code génétique pour pouvoir réaliser des organismes avec des fonctions complexes, comme par exemple la tolérance à la sécheresse. CRISPR/Cas demeure un outil intéressant pour couper l’ADN. Mais appliqué à un objet – le génome – dont le fonctionnement n’est pas maîtrisé, cela peut engendrer des effets non souhaités et donc des risques qu’il convient d’analyser.

Une régulation appropriée devrait exiger du fabricant qu’il fournisse a minima les données sur les modifications effectuées (afin de permettre la traçabilité) et la preuve de l’absence d’éventuelles modifications non souhaitées. Pour n’importe quel produit qui a un lien avec la vie humaine (avion, médicaments, etc.), on exige des tests et des données précises. Pourquoi le bidouillage génétique et sa dissémination dans l’environnement devraient-ils se faire sans aucun contrôle?

Il faut des règles claires. Les consommateurs doivent savoir ce qu’ils mangent en conservant l’étiquetage des produits génétiquement modifiés. Les agriculteurs doivent être protégés en exigeant que les producteurs d’OGM assument les surcoûts liés à la séparation des filières et les coûts liés aux contaminations et aux éventuels dommages. Aujourd’hui, aucun assureur n’est prêt à assurer ce risque car potentiellement les dommages peuvent être énormes.

En outre la question des brevets doit être résolue. Sans une régulation stricte, les sélectionneurs se verront confrontés à un mur de brevets et la sélection végétale traditionnelle sera rendue impossible. Le paysan dont les récoltes seront contaminées devra payer des royalties et des amendes. Cela s’est déjà passé partout où la culture d’OGM a lieu.

Les NTGG relèvent plus du mythe que de la réalité. La réalité, c’est que notre gouvernement prépare une dérégulation qui impliquera des dégâts économiques et écologiques importants, ainsi qu’une perte d’image irrémédiable pour l’agriculture suisse et la disparition de l’agriculture bio. Voilà pourquoi l’initiative «pour la protection des aliments» propose d’inscrire ces garde-fous dans la Constitution.

Luigi D’Andrea est biologiste et agriculteur bio, et secrétaire exécutif de l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (ASGG).

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