Les milieux immobiliers vous mentent
Le 24 novembre, nous voterons sur deux lois pour faciliter les résiliations de bail. Leur acceptation menacerait l’existence de milliers de baux. L’Asloca appelle à voter «non» sur ces deux objets fédéraux, qui concernent plus précisément la sous-location (question 2) et la résiliation pour besoin propre (question 3). Les milieux immobiliers, eux, font campagne avec des arguments mensongers tels que «renforcer la sécurité du droit», «empêcher l’enrichissement indu», «protéger les sous-locataires et le voisinage contre les abus» ou encore «soutenir les PME». Cette communication usurpe et détourne celle des locataires pour soutenir deux lois qui proposent de démanteler la protection contre les congés abusifs. Arrêtons-nous sur la sous-location.
Sous-louer tout ou partie d’un logement ou d’un local commercial est un droit soumis à plusieurs conditions, telles qu’obtenir le consentement du bailleur, ne pas faire de profit au détriment du sous-locataire, sous-louer pour une durée limitée (dans le cas d’une sous-location entière). Le bailleur ne peut pas refuser son consentement si ces conditions sont remplies, à moins que la sous-location présente objectivement un inconvénient majeur pour le bailleur (cela vaut pour des logements ayant une destination spécifique comme un foyer, etc.).
La loi soumise à votation prévoit en revanche 1) l’obligation d’obtenir le consentement du bailleur au préalable et par écrit, la violation de cette obligation purement formelle entraînant le congé; 2) une extension à l’infini des motifs de refus du consentement. Comparons le droit en vigueur avec la proposition de révision. Selon le droit en vigueur, «le bailleur ne peut refuser son consentement que si [suit la liste exhaustive de motifs de refus]» (art. 262 CO). Selon le texte de la votation, «le bailleur peut notamment refuser son consentement dans les cas suivants: [suit une liste d’exemples de motifs de refus que le bailleur peut élargir]»; 3) l’absence de consentement écrit du bailleur deviendrait un motif de résiliation extraordinaire du bail (dans un délai de 30 jours).
En fait, la seule condition à la sous-location deviendrait le bon vouloir du bailleur. Contrairement au slogan des milieux immobilier, cette loi affaiblirait la «sécurité du droit». Il ne serait plus possible de savoir, avant d’avoir eu la réponse du bailleur, si une sous-location est autorisable ou non.
Quant à la protection du sous-locataire contre les abus et l’«enrichissement indu», quel cynisme! Les bailleurs pratiquent des loyers abusifs à très large échelle, mais prétendent vouloir protéger le sous-locataire. L’argument vire à la tartufferie. En effet, qu’arrive-t-il lorsqu’un un bail est résilié? Le logement est remis en location à un loyer hyper abusif. Les pratiques commerciales des bailleurs et des régies démontrent au quotidien qu’il n’est aucunement dans leur intention de lutter contre les loyers trop élevés.
Dans cette campagne, tout y passe. Les milieux immobiliers prétendent aussi vouloir lutter contre Airbnb. Le droit en vigueur protège le parc immobilier locatif contre la transformation d’un logement en appart-hôtel loué sur une plateforme numérique. Cette protection a été gagnée (GE, LU, etc.) par l’Asloca contre les milieux immobiliers. Et pour cause, les statistiques sur Airbnb montrent que les logements ainsi loués le sont surtout par des propriétaires.
Enfin, ce que les milieux immobiliers ne disent pas, c’est que leur loi vaudrait aussi pour la sous-location partielle et les locaux commerciaux. Il est aujourd’hui possible de sous-louer une partie d’un logement sans limite de temps si le sous-loyer n’est pas abusif, par exemple dans le cadre d’une «colocation» ou à un proche comme un enfant majeur ayant terminé sa formation et qui paie le loyer pour sa chambre. Les universités appellent d’ailleurs la population à sous-louer une chambre aux étudiant·es. Les locataires concerné·es sont donc bien plus ·nombreux et nombreuses qu’il n’y paraît. Il en irait de même pour les locaux commerciaux. Le bailleur pourrait souverainement décider de refuser à une entreprise de sous-louer une partie du local à sa propre filiale. Il n’est donc pas question ici de soutenir les PME.
En résumé, les bailleurs souhaitent s’inviter à chaque grand moment de la vie professionnelle, affective et des affaires. Les locataires ne seraient plus pleinement chez eux, mais devraient toujours compter avec l’intervention des bailleurs. Voulons-nous vraiment leur donner ce pouvoir supplémentaire? N’en ont-ils pas déjà assez en cette période de pénurie de logement? Poser la question, c’est y répondre.
* Conseiller national et juriste à l’Asloca.
L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.