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Le racisme institutionnel en un mot

«Délester le système d’asile.» Utilisés par le SEM, ces termes renferment «toute la rhétorique anti-asile des cinquante dernières années», selon Raphäel Rey, du CSP Genève.
Asile

Début septembre, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) invite la société civile à une «rencontre avec les ONG». Objectif déclaré: présenter le brouillon de sa stratégie globale en matière d’asile, commandée par Beat Jans et dont l’adoption est prévue pour l’été 2025. La rencontre consiste à demander un premier avis aux organisations avec qui le SEM souhaite «collaborer». Une feuille est donc distribuée aux participant∙es, comportant une dizaine de points tous aussi vagues les uns que les autres, mais surtout pas grand-chose qui parle d’asile, de refuge, de protection ou de droits fondamentaux – ce qu’on aurait osé espérer d’un conseiller fédéral socialiste. Pire, le premier objectif mentionné consisterait à «délester le système d’asile des personnes qui n’ont pas besoin de protection». Délester, sérieusement?

Un coup d’œil sur quelques dictionnaires nous donne toute la symbolique du terme, qui viendrait de last, le poids en néerlandais. Dé-lester, ce terme de marine du XVIe siècle, signifie littéralement décharger de son lest, enlever un poids, se débarrasser d’un poids gênant. Ironie étymologique, on ne peut s’empêcher de penser à ces grands navires qui traversaient les océans pour donner lieu à la première mondialisation du commerce. Un moment charnière qui a organisé et installé ce qui est encore aujourd’hui aux racines des inégalités économiques et sociales, mais aussi des guerres et des conflits de notre monde : la colonisation.

La métaphore marine – utilisée à l’heure où l’Europe, Suisse comprise, s’apprête à durcir le ton du régime migratoire avec son nouveau pacte européen sur la migration et l’asile – ne peut que nous renvoyer aux dizaines de milliers d’enfants et d’adultes mort·es en Méditerranée ces dernières décennies, embarqué·es sur des rafiots de fortune. Après des siècles d’extractivisme, d’appropriation des ressources, d’exploitation et d’appauvrissement de générations de personnes nées en Afrique, Asie, Amériques et Océanie, c’est maintenant à force de politiques inhumaines et d’externalisation que l’Europe et la Suisse cherchent à se barricader toujours plus et à se délester de ces migrant·es qu’elles jugent indésirables.

Mais revenons au terme lui-même: délester. Le choix des mots a son importance et celui-ci est effarant. Parce qu’il renferme à lui tout seul toute la rhétorique anti-asile des cinquante dernières années: l’illusoire distinction du vrai et du faux réfugié, la lutte contre les abus, le tri, mais aussi l’asile comme un problème à régler, comme un fardeau à endosser. Effarant surtout, parce qu’il expose crûment la manière dont des êtres humains sont perçus par nos responsables politiques et nos administrations: comme un poids, une gêne, des sacs de lest à trier, à mettre de côté, à déplacer, transférer, jeter. Parler de lest, c’est montrer de manière éclatante que pour nos responsables politiques, il y a des vies qui comptent bien plus que d’autres, des vies dont on peut se délester plus facilement que d’autres.

Et lorsqu’on sait que la proposition initiale fait directement référence aux «procédures d’asile en 24 heures» récemment mises en place par le SEM sur demande de Beat Jans et principalement adressées aux personnes venant continent africain, on voit clairement apparaître le racisme institutionnel qui sous-tend encore et toujours la gestion des frontières et tout le régime migratoire suisse et européen. Autant dire qu’en ces termes, le CSP Genève et nombre d’organisations de la société civile réfléchiront à deux fois avant de participer à cette consultation sur une stratégie qui n’a rien à voir avec une politique d’asile et de refuge digne de ce nom.

Raphaël Rey est chargé d’information au service réfugié∙es du Centre social protestant à Genève.

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