Scène

A Martine Paschoud

Hervé Loichemol rend hommage à Martine Paschoud. La comédienne, metteuse en scène et directrice historique du Théâtre de Poche à Genève, est décédée le 27 septembre à l’âge de 82 ans.
Carnet noir

Chère Martine,
Je t’écris ces quelques mots depuis Sarajevo où je me trouve en ce moment grâce à toi.
Tu étais en effet directrice du Poche quand je t’ai téléphoné un dimanche matin pour te dire que nous ne pouvions pas rester inertes tandis que se développaient le siège de Sarajevo et les exactions serbes en Bosnie. Tu m’as immédiatement proposé d’organiser une soirée de mobilisation qui a conduit à la création d’un Comité Sarajevo à Genève.

Tu étais directrice du Poche quand tu m’as offert l’asile pour faire une grève de la faim afin de protester contre l’incurie de l’administration municipale de l’époque.

Tu étais directrice du Poche quand Tariq Ramadan réussissait à obtenir la censure d’une pièce de Voltaire. Tu nous as accueillis pour combattre avec nous le totalitarisme religieux.

Je suis convaincu que, si tu étais encore directrice du Poche, nous serions ensemble pour dénoncer les politiques suprématistes et racistes qui donnent les résultats que l’on sait en Palestine et pour lutter contre le fascisme aujourd’hui conquérant partout.

Je pourrais allonger la liste de tes engagements et faire de toi une pasionaria des causes perdues. C’est plus simple et complexe que ça.

A Martine Paschoud
Martine Paschoud en 1999. CAROLE PARODI

Le théâtre pour toi n’était pas séparé de la vie sociale et politique. Il n’en était ni la copie ni le reflet mais l’ombre portée et l’image inventée, il n’en était pas l’écho mais la caisse de résonance. Tout le travail théâtral tenait dans la recherche d’un fragile déséquilibre entre réalité et utopie. Tu héritais en cela d’un marxisme ouvert, très librement interprété et vécu librement, un brechtisme joyeux qui refusait de faire du théâtre un pur divertissement.

Je ne veux pas ici réduire ton travail à sa dimension politique, mais je ne peux que relever l’écart grandissant entre les positions critiques que nous avons partagées et les règles actuelles du marché culturel, de l’administration chiffrée du théâtre, des calculs ridicules du taux de rayonnement des institutions théâtrales, de l’arraisonnement du théâtre par les logiques financières qui dominent aujourd’hui le monde. Jusqu’au bout tu resteras effarée par l’évolution de la culture et de la politique.
Depuis que j’ai fait ta connaissance en 1975 au Théâtre de Carouge que dirigeait alors François Rochaix, notre compagnonnage artistique et notre amitié n’ont jamais cessé. Je pourrais raconter beaucoup d’aventures conduites ensemble pendant cinquante ans, parler de tout ce que te doit la création du Châtelard à Ferney-Voltaire, évoquer les spectacles que nous avons réalisés ensemble, parler de la comédienne que j’ai eu le plaisir de diriger, multiplier les anecdotes de toutes sortes, mais ce serait passer sous silence tout ce que tu as fait dans d’autres cercles, d’autres situations, avec d’autres amis et auquel je n’ai pas eu accès. C’était ta vie, tu l’as vécue pleinement, parfois douloureusement, mais le plus souvent dans la joie de la réflexion, de la discussion, de l’échange, du partage, de l’imagination. C’est, en tout cas, sur ce mode que je t’ai connue.

Quand je t’ai vue récemment à l’hôpital de Gilly, tu avais conservé le même regard d’enfant étonnée et gourmande – nous partagions aussi le goût des macarons et du chocolat. Tu avais ton petit sourire amusé et tendre qui donnait à tout la bonne mesure.

Je ne sais où tu es maintenant, ni même si tu es quelque part, mais je suis sûr que, d’une manière ou d’une autre, tu recevras ces quelques mots de ton ami.
Je t’embrasse fort.
Hervé

* Hervé Loichemol est metteur en scène, ancien directeur de la Comédie de Genève.

Opinions Scène Hervé Loichemol Carnet noir Théâtre

Autour de l'article

Connexion