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Arrête ton char?

Repenser l'économie

Se déplacer en voiture, c’est mettre en mouvement plus d’une tonne d’acier et de plastique pour acheminer 100 kg d’être humain (1,5 personne par trajet en moyenne). Cela demande une masse d’infrastructure – routes, parkings, ponts, viaducs et autres bretelles – coûteuse en espace, en béton et en travail humain. Les coûts environnementaux, économiques et sanitaires de la dépendance à l’automobile sont immenses.

Le transport individuel motorisé est responsable de trois-quarts des émissions de gaz à effet de serre (GES) liés au transport en Suisse et représente 10% de toutes les émissions au niveau mondial, à quoi il faut ajouter les impacts écologiques de la production de l’infrastructure routière – béton, asphalte, acier. La pollution de l’air tue chaque année 4,2 millions de personnes, et les accidents de la route 1,35 million. En Suisse, une voiture coûte, selon le TCS, 10 700 francs par an, soit 12% du revenu moyen. Avec 540 voitures par millier d’habitants, c’est 6,5% du PIB qui est englouti par les coûts individuels de la voiture, c’est-à-dire le coût direct pour l’usager·ère, n’incluant pas le prix des infrastructures, de la sécurité routière, des impacts sur la santé.

Tous ces coûts sont chiffrables. Il faudrait parler aussi d’impacts moins mesurables, comme l’accaparement de l’espace de nos villes, la privatisation de la route par les voitures qui rendent dangereux et déplaisants les déplacements à pied ou à vélo. Plus simplement, l’hégémonie de la voiture prend une place folle. Les infrastructures nécessaires à nos déplacements en gros cubes d’acier privatisés ne sont pas simplement couteuses, voraces en matériaux et polluantes, elles engloutissent de l’espace qui pourrait accommoder des logements, de la verdure, de l’espace public où pourraient jouer des enfants ou profiter du soleil leurs aîné·es.

Le cas de la voiture illustre les difficultés et les attraits de la transition écologique et du changement de modes de vie qu’elle nécessite. Les difficultés, d’abord: notre infrastructure construite autour de l’usage de la voiture contraint à l’usage de la voiture, ce qui incite les pouvoirs publics à adapter l’urbanisme à la voiture puisque tout le monde en a une, et ainsi de suite. L’automobile jouit aussi d’un attrait culturel – elle est symbole de liberté, de virilité, de statut social – qui complique la mise en place de politiques visant à s’en séparer. Enfin, elle est tout de même, sous certains aspects, bien plus pratique que tout autre mode de transport: pour aller au ski en famille ou en randonnée loin de toute civilisation, pour transporter quoi que ce soit de plus gros qu’une valise, pour ne pas dépendre des horaires et des trajets des transports collectifs, on ne fera pas mieux avec un bus où un vélo cargo électrique.

Les scénarios de transition comme celui du Shift Project pour l’économie française prévoient d’ailleurs heureusement un usage résiduel de la voiture (électrique, plus légère et aérodynamique) pour les campagnard·es et pour des situations spécifiques. Une généralisation du partage à la sauce Mobility permettrait de rendre disponibles les voitures sans que chaque ménage doive en posséder une, ce qui réduirait les coûts pour tout le monde et pour la planète. Il y aurait donc des inconvénients et une adaptation laborieuse, mais on gagnerait au change, avec des villes plus silencieuses, moins dangereuses et habitées par l’humain plutôt que sa voiture, un air plus respirable et bien moins de pollution en tout genre.

Et la décroissance, dans tout ça? Eh bien, moins de voitures c’est moins de routes et autres parkings à construire, moins d’entretien de ce qu’on a déjà construit, moins d’agents de la circulation, de maladies respiratoires, d’acier, de béton et de pétrole; c’est aussi moins d’emplois, de PIB, de revenus. Comme les coûts des un·es sont les revenus des autres, un système de transports ou une économie entière moins demandeuse de travail et de matières premières c’est moins d’activité économique.

Que pourvoir à nos besoins puisse demander moins de travail, cela devrait être une bonne nouvelle, mais encore faut-il distribuer ce gain de temps équitablement. Si certain·es se retrouvent au chômage tandis que d’autres travaillent autant avec plus de charges sociales, la décroissance risque de faire des mécontent·es. Si, au contraire, le temps de travail est réduit proportionnellement à la réduction de l’activité, chacun·e peut avoir les avantages d’une vie libérée de la voiture et le temps libre pour en profiter.

Michal Gadomski est diplômé en histoire économique et membre de Rethinking ­Economics Genève.

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mardi 27 février 2024

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