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«La liberté d’expression ne peut justifier la diffusion de discours haineux»

La CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation) a sollicité Le Courrier pour une publication de libre opinion à l’occasion du triste anniversaire du massacre du 7 octobre. Nous accédons bien volontiers à cette demande: le racisme anti-juif, malheureusement toujours présent en Suisse, est aussi alimenté par le conflit au Proche-Orient. La question étant: comment mener un dialogue constructif dans le cadre d’une actualité aussi bouleversante?
Lutte contre le racisme

Depuis les attentats tragiques du 7 octobre 2023, l’antisionisme virulent a franchi un seuil dangereux, devenant indissociable d’un antisémitisme bien réel. Ce qui, auparavant, se voulait une critique de la politique israélienne s’est mué en une hostilité généralisée envers les Juifs, en tant que peuple et communauté religieuse. Cette confusion, intentionnellement entretenue notamment par certains divers cercles militants progressistes, crée un climat délétère où les Juifs sont collectivement et injustement tenus responsables des actions légitimes ou illégitimes de l’Etat d’Israël, confondant ainsi la critique d’une politique étatique avec une forme moderne d’antisémitisme, tel que le définit l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste).

Les événements récents à l’université de Genève illustrent parfaitement cette ignoble dérive. Encore récemment le tollé provoqué par l’agenda de la CUAE (Conférence universitaire des associations d’étudiants) en est un exemple frappant. Le slogan «From the River to the Sea», arboré dans ce document estudiantin, n’est rien d’autre qu’un appel à la destruction du seul Etat juif. Sans surprise, il a déclenché une condamnation unanime et sa distribution a été interdite sur le campus. Or, malgré tout, sa diffusion a continué hors des murs universitaires, propageant dans la cité un climat toxique et nauséabond.

Soyons clairs: ces campagnes publiques ne sont pas de simples expressions politiques. Dépassant largement le cadre du conflit au Proche-Orient, elles servent de prétexte à marginaliser les Juifs dans leur ensemble, ce qui est non seulement dangereux, mais moralement intolérable. Cette rage se banalise dans des milieux qui, historiquement, se positionnaient contre le racisme. Désormais, sous couvert de soutien à la cause palestinienne, certains ferment les yeux sur les actes antisémites.

Les manifestations propalestiniennes en Suisse, notamment à Lausanne, Genève, Fribourg ou Neuchâtel, ont montré à quel point la situation a dégénéré. Des slogans antisionistes ont fréquemment débordé en attaques directes contre des Juifs, les désignant comme coupables et responsables de la situation au Proche-Orient par leur simple appartenance à cette communauté. Encore une fois, il ne s’agit plus là de critiquer un Etat, mais bien de condamner une minorité religieuse dans son ensemble. Certains militants se permettent même d’exiger des Juifs qu’ils dénoncent Israël sous peine d’être marqués du sceau de l’indignité.

La liberté d’expression, bien qu’essentielle, ne peut en aucun cas justifier la diffusion de discours haineux. Il est crucial de tracer une ligne nette et rigoureuse entre la critique politique et l’antisionisme, qui, lorsqu’il dégénère, devient l’illustration d’un antisémitisme crasse.

Les acteurs politiques, traditionnellement prompts à dénoncer le racisme, ont ici une responsabilité directe. Ils doivent intervenir pour prévenir et sanctionner toute manifestation de l’antisémitisme comme ils le font face à toute manifestation de racisme ou plus largement de discrimination. Les établissements scolaires et universitaires jouent également un rôle clé dans cette lutte, non seulement en éduquant les jeunes générations sur ces nuances essentielles, mais aussi en veillant à ce que leurs campus ne deviennent pas des foyers de radicalisation. Les médias, de leur côté, doivent faire preuve de rigueur dans la couverture de ces événements, en évitant de nourrir cette confusion entre critique politique et persécution d’une communauté religieuse.

Nous devons collectivement nous mobiliser, non seulement pour dénoncer ces crimes, mais aussi pour promouvoir le respect. La Suisse, en tant que pays de neutralité et de dialogue, a un rôle essentiel à jouer dans ce combat. C’est à nous, citoyens, de veiller à ce que l’antisionisme ne devienne pas un masque pour un antisémitisme rampant. Si nous échouons à tracer cette frontière nette, nous risquons de légitimer le venin de la haine qui n’a pas sa place dans une société démocratique.

Opinions Agora Johanne Gurfinkiel Lutte contre le racisme

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