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«L’Amérique d’abord»?

D’un côté, les partisans d’un milliardaire narcissique, obsédés par la «décadence» de l’Amérique. De l’autre, des classes urbaines et instruites, persuadées que leurs adversaires mettent en cause la démocratie dans leur pays et s’acoquinent à des puissances autoritaires. Le nouveau numéro de Manière de voir passe au crible les failles qui déchirent les Etats-Unis.
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Tous les quatre ans, les citoyens américains se rendent aux urnes pour élire leur président et leur Congrès. Ce scrutin retient l’attention du monde entier car les Etats-Unis demeurent la plus grande puissance planétaire, et leurs péripéties électorales influent directement sur les grands dossiers internationaux, qu’ils soient géopolitiques, économiques ou culturels. Mais comment va l’empire au sortir de quatre années de présidence démocrate et d’une pandémie de coronavirus (Covid-19) particulièrement meurtrière (1,12 million de morts) ? Doit-il désormais composer avec l’essor de son rival chinois et l’émergence d’un « Sud global » dont les membres ne craignent plus de lui tenir tête ? En août 2021, le retrait soudain de ses troupes d’Afghanistan semait le doute quant à sa capacité d’imposer un diktat sous n’importe quelle latitude. Six mois plus tard, la Russie envahissait son voisin ukrainien et obligeait Washington à concentrer ses efforts et son aide militaire en faveur de Kiev. Ce conflit se poursuit et l’Amérique voit ses ambitions de renforcer son influence en Asie contrariées. Ailleurs, sa partialité pro-israélienne sape ses prétentions vertueuses à diriger un monde «fondé sur des règles».

Doté d’un appareil cartographique important et de nombreux chiffres-clés, agrémenté par plusieurs œuvres iconographiques documentant, entre autres, les inégalités et les défis sociétaux de l’Amérique, le nouveau numéro de Manière de voir 1«Etats-Unis. L’empire fracturé», Manière de voir no 197, octobre-novembre 2024, bimestriel édité par Le Monde diplomatique. ausculte un pays fracturé dont la vigueur économique cache mal les fêlures. Le premier chapitre décrit l’aggravation des divisions politiques, avec leur corollaire de discours de haine et de propagation d’un fort sentiment paranoïaque. Dans ce contexte, les idées socialistes se fraient difficilement un chemin au sein de la population, notamment au cœur de la jeunesse, mais la pesanteur des institutions, notamment celle de l’omniprésente Cour suprême, complique tout changement systémique.

Cet immobilisme a pour conséquence la persistance d’une violence multiforme qu’analyse la deuxième partie. Défense acharnée du droit à posséder une arme – revendication que l’on retrouve aussi chez nombre de démocrates –, persistance du racisme hérité de la période esclavagiste, brutalités policières rarement sanctionnées par la justice, dégâts sociaux importants provoqués par divers trafics et addictions: l’Amérique n’en finit pas de se confronter à des démons qu’elle semble avoir intériorisés.

Mais, comme le rappelle la troisième partie, la volonté de diriger les affaires du monde n’en demeure pas moins une priorité stratégique pour Washington. La tâche risque pourtant d’être ardue car les défis sont nombreux et la tentation isolationniste, notamment dans le camp républicain, est susceptible de modifier la donne si M. Donald Trump était élu en novembre. Son retour à la Maison-Blanche pourrait entraîner une baisse du soutien militaire américain à l’Ukraine – à charge pour l’Europe d’y suppléer. A bien des égards, ce scrutin sera décisif pour l’avenir des Etats-Unis, de la démocratie en Amérique. Et pour celui de la planète.

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