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Revenir aux mémoires

Martín Felipe Rozas Letelier réfléchit sur la mémoire et ses usages à l’occasion du récent anniversaire du coup d’Etat au Chili.
Histoire 

Près d’autres montagnes, il y a déjà cinquante-et-un ans, l’une des démonstrations les plus saillantes du pouvoir militaire, économique et idéologique avait lieu au sud de la planète. Entouré par un désert, les fjords, le Pacifique et les Andes, le Chili voyait une dictature commencer à se mettre en place. Malgré la distance d’un demi-siècle, les faits vécus pendant les dix-sept ans qu’elle a duré continuent à être racontés et resignifiés à travers la mémoire.

Evoquer la mémoire peut nous conduire à diverses compréhensions d’elle. Ainsi, on peut la concevoir comme un ensemble de souvenirs liés à des faits qui conservent une certaine objectivité. Toutefois, la mémoire s’éloigne d’une reconstruction détaillée des événements et, par conséquent, ne peut être assimilée à un stockage mécanique. Elle acquiert une dimension où les individus et les sociétés développent leur récit et leur sens autour des faits, créant ainsi une perspective sur le monde.

Sous cette perspective, nous nous accrochons à une certaine réalité. Pourtant, comprendre la mémoire comme une essence immuable empêche de la resignifier, c’est-à-dire de donner un nouveau sens aux faits jadis transmis. De cette façon, l’oubli fait partie de la mémoire non pas en la supprimant, mais en coexistant avec elle. Cette dualité permet de renouveler périodiquement le sens de la mémoire en répondant aux questions: Pourquoi? Et dans quel but?

La mémoire chilienne répond à ces questions en s’appuyant sur les évènements qui ont marqué sa société, mais sans la rage de ceux qui, autrefois, ont instauré et perpétué les dix-sept ans de dictature. Au contraire, cette mémoire porte la distance et la sagesse nécessaires pour se souvenir des disparus, faire justice, resignifier les horreurs et ne pas les ignorer. Elle ne crie pas; elle invite les individus à dialoguer. Elle ne se présente pas comme un récit officiel, mais comme un récit commun qui fleurit dans l’aridité du désert. Elle est la raison pour laquelle l’on peut dire: nunca más – plus jamais.

Martín Felipe Rozas Letelier,
Carouge (GE)

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