«Une biodiversité en bon état est utile à l’agriculture»
L’initiative sur laquelle se prononcera le peuple ces jours-ci suscite nombre de débats déployant des arguments très variés, mais parfois infondés, lorsque l’on se penche sur le texte constitutionnel.
C’est notamment le cas de la position affirmée de l’Union suisse des paysans (USP), représentant principalement les intérêts des grosses exploitations agricoles, qui incite largement à voter contre l’initiative. En effet, sa position se base sur une étude fallacieuse1>F. Margot, F. «La paysannerie prise en otage», Le Temps, 24 août 2024, www.letemps.ch/opinions/debats/la-paysannerie-prise-en-otage niant le déclin de la biodiversité en Suisse. La crainte que l’USP veut diffuser au sein de la population? Que la Confédération exige de consacrer un certain pourcentage des terres agricoles à la protection de la biodiversité, alors que les petits paysans peinent déjà à subsister.
Pourtant, cela n’est pas ce qu’implique le texte constitutionnel. Pour mieux comprendre comment cette initiative pourrait être appliquée, il suffit de constater que les terres suisses sont réparties en 36% de terres agricoles, 31% de forêts et 25% de terrains dits «improductifs», le reste étant urbanisé. Sans priver les agriculteurs d’une partie de leurs terrains et de leurs revenus, d’innombrables autres actions peuvent être menées. Il existe un grand potentiel en ville comme en forêt, où seules 7% des surfaces sont classées comme réserves forestières2>ForêtSuisse, Les réserves forestières, www.foretsuisse.ch/k15-fr. Ces lieux sont favorables à la réintroduction de connexions entre différents habitats propices à la biodiversité ou d’espaces protégés et nourriciers.
L’hypothèse que le parlement fédéral viserait spécifiquement l’agriculture n’est pas très réaliste. Celui-ci est composé majoritairement de partis conservateurs, comptant d’ailleurs dans leurs rangs des membres de l’USP qui appellent au refus de l’initiative. Il serait inattendu que ceux qui détiennent la majorité du parlement, qui appellent à voter non, fassent ensuite une interprétation zélée de l’initiative quand il s’agit de l’adapter en loi. Le discours tenu par l’USP concernant une prise de mesures extrêmes et absentes du texte de l’initiative ne fait donc qu’induire la population en erreur sur le fondement de l’initiative.
Opposer ainsi l’agriculture à la biodiversité, c’est oublier qu’une biodiversité en bon état est utile à l’agriculture. Le rendement, la fertilité des sols, le contrôle des ravageurs des cultures et la pollinisation sont favorisés par la biodiversité3>X. Le Roux, R. Barbault, J. Baudry, F. Burel, I. Doussan, et al., Agriculture et biodiversité: valoriser les synergies, INRA, 2008, https://hal.science/hal-03148269. Le monde paysan l’a bien compris et promeut, dans la mesure de ses moyens, une bonne gestion de la nature. Le nombre d’exploitations en bio n’a cessé d’augmenter ces dernières années, représentant aujourd’hui 19% des surfaces. Le zèle est également remarquable chez les nombreux paysannes et paysans adhérant au label en faveur de la biodiversité IP Suisse, dont 40% des affiliés font davantage que les exigences requises.
Cette initiative a donc pour but d’accompagner la paysannerie qui s’engage déjà dans le bon sens, et non de lui mettre des bâtons dans les roues. Elle permettra simplement à la Confédération d’agir dans les secteurs adéquats de l’ensemble du territoire, afin de faire un pas supplémentaire dans le soin que nous apportons à notre nature et de promouvoir la biodiversité suisse dans l’avantage de toutes et tous.
Notes
Zoé Kettiger, pour l’association Noé21, Genève.