Le réarmement en roue libre
C’est open bar ou presque pour l’armée. Le National a suivi les Etats ce jeudi et voté une substantielle rallonge à l’enveloppe quadriennale 2025-2028 prévue pour l’armée suisse. Celle-ci passe de 26 à 30 milliards de francs. La guerre en Ukraine justifie ce bruit de bottes martelant les travées du Palais fédéral. Une majorité bourgeoise choisit donc de gaver telle une oie, et au-delà de ce que demandait le Conseil fédéral, l’institution militaire suisse.
Cet argent – car rien n’est gratuit en ce bas monde – sera sans doute pris sur le dos des plus pauvres, du moins pour une bonne moitié. A moins que la Chambre haute, qui reprend maintenant le dossier, retrouve un peu ses esprits, quelque 2 milliards pourraient en effet être économisés sur l’enveloppe de 11,27 milliards de francs dévolue à la coopération internationale.
Une solution de facilité qui plaît à l’extrême droite, si puissante au Parlement fédéral, et dont le motto «les nôtres avant les autres» trouve ici une incarnation logique. Le débat n’est peut-être pas entièrement verrouillé, car il est également prévu de faire passer les cantons à la caisse en diminuant leur quote-part à l’impôt fédéral direct. Les gouvernements cantonaux ont, logiquement, montré les dents jeudi.
Ce transfert de ressources pour faire plaisir au vert-de-gris traduit une nouvelle fois un manque de vision certain des élu·es du bloc bourgeois. Agir à la source sur les motifs pouvant pousser à la migration devrait pourtant parler à leur intelligence, à défaut de leur sensibilité. Mais, las, les réflexes pavloviens ont la vie dure.
Le réarmement de la Suisse a des petits relents de guerre froide, lorsque les tanks soviétiques devaient débouler sur le plateau suisse. Le récent rapport de la Commission d’étude sur la politique de sécurité s’inscrivait déjà dans cette tendance, en habillant d’un manteau new age – augmenter la résilience des Suissesses et des Suisses au danger – des arguments échappés du siècle passé.
Il est urgent que la voix pacifiste parvienne à se frayer un chemin pour contrer cette langue de bois militaro-industrielle. Ne pas se laisser enfumer par des pseudos-discours d’experts galonnés est une des conditions pour qu’un débat public et démocratique digne de ce nom puisse être mené sur les objectifs de la Suisse et sa place dans le monde.