Quid de la mortalité des moins de cinq ans?
En 2015, l’ONU a défini 17 objectifs de développement durable (ODD) et 169 sous-objectifs formant l’Agenda 2030. Ils prétendent tenir compte équitablement de la dimension économique, de la dimension sociale et de la dimension environnementale pour promouvoir un développement durable et pour éliminer la pauvreté, lutter contre les inégalités et freiner les changements climatiques. Un des sous-objectifs de l’ODD3 touche à la mortalité infantile (les moins de cinq ans). Un bilan récent, produit à mi-parcours de l’Agenda 2030 dans ce domaine, trace le chemin à parcourir pour atteindre cet objectif. Quels enseignements peut-on en retirer?
Une bonne nouvelle: il y a eu 50% de moins de décès dans la décade 2010-2020 que dans celle des années nonante, preuve indirecte que les mesures mises en place ont été globalement efficaces. Logiquement, la mortalité des enfants au-delà de un mois a davantage baissé que celle des nouveau-nés: elle dépend plus de mesures de santé publique basiques comme l’accès à l’eau potable, les vaccinations, un contrôle de la croissance fait dans la communauté et un allaitement exclusif durant les six premiers mois de vie, ceci associé à une prise en charge rapide des diarrhées (en particulier avec des solutions orales de réhydratation) et l’usage d’antibiotiques en cas de pneumonie. Autour de la naissance et dans le premier mois de vie, les choses sont plus délicates, nécessitent un peu plus de technologie et, souvent, un séjour hospitalier.
Cela dit, en regardant de près, on se rend compte que la diminution de la mortalité s’est faite essentiellement avant 2010 et que, si de gros efforts ne sont pas consentis par la communauté internationale (et les gouvernements respectifs), la projection sur dix ans des trois premières années de la décade 2020 fait craindre que la mortalité stagne autour de 5 millions annuellement, comme c’est le cas depuis 2015. Le rapport montre encore que l’on est loin de l’objectif déclaré pour 2030 – 25 décès pour mille enfants nés vivants – puisqu’à six ans de l’échéance, on est encore à 37 pour 1000! Et pourtant, comme nous le rappelle le document, on sait bien quelle recette fonctionne: celle prônée depuis la déclaration de l’OMS d’Alma-Ata en 1978, favorisant la santé communautaire avec des agents de santé locaux formés dans les soins primaires, associés à un système de référence en milieu hospitalier si nécessaire.
L’autre vérité que rappelle ce rapport est celle de l’importance des déterminants sociaux: un enfant né en Afrique subsaharienne a 15 fois plus de risques de mourir avant l’âge de cinq ans qu’un enfant européen. Mais il y a aussi un fort gradient entre les régions rurales et urbaines, ainsi qu’entre les différentes classes sociales – même aux Etats-Unis, un peu moins en Europe où le système de protection sociale est meilleur (jusqu’à quand?). Et comme par hasard, les zones de guerre augmentent le risque de décès avant cinq ans (on ne peut s’empêcher de penser à Gaza).
Un élément encore est la confirmation que le Covid n’a pas entraîné de surmortalité chez les petits enfants, mais que la recrudescence de cas de rougeole, de coqueluche et de diphtérie, liée à une moins bonne couverture vaccinale dans de nombreux pays durant cette période-là, explique en partie la stagnation de la mortalité infantile dans les années 2020-2022.
Le rapport demande un sursaut de la communauté internationale afin de dégager les moyens pour affronter le défi, soulignant qu’une grande partie de ces morts d’enfants est parfaitement évitable en fortifiant les programmes de vaccination, de lutte contre la malaria et de suivi pondéral des enfants, mais aussi en formant davantage de soignants communautaires entre autres.
Paradoxalement, le document passe sous silence le fait que cet objectif ne sera réalisable que pour autant que les autres ODD soient atteints. Entre autres: éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable (ODD2), promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous (ODD8) ou encore réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre (ODD10).
Le chemin est semé d’embûches dans un monde qui pense plus à s’armer qu’à résoudre ces problèmes, comme si une partie «d’humanité» disparaissait… D’ailleurs, n’oubliez pas de vous rendre aux urnes le 22 septembre, les sujets fédéraux de ces votations s’inscrivent dans les ODD.
Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.