Abus de pharma dominante
«Tandis que l’industrie pharmaceutique réalise des bénéfices record, des millions d’Américains sont contraints de choisir entre acheter les médicaments dont ils ont besoin pour vivre et payer la nourriture, le loyer et d’autres nécessités de base». Cette déclaration n’émane pas d’un dangereux extrémiste de gauche, mais du président Joe Biden lui-même, à l’heure où il entamait en 2023 un bras de fer avec les pharmas pour obtenir une réduction des prix de dix remèdes. Vendredi, grâce à la publication d’une nouvelle enquête de qualité, l’ONG Public Eye aurait pu relancer le même débat en Suisse si cette question suscitait un minimum d’intérêt de la part des médias dominants et de nos élu·es. A l’heure où une nouvelle hausse des primes d’assurance maladie va être annoncée, interroger la part de l’abus des entreprises pharmaceutiques dans l’explosion des coûts de la santé serait pourtant bienvenu.
Public Eye prend le cas d’école de l’Entresto, un traitement contre l’insuffisance cardiaque de Novartis. La firme suisse en avait obtenu le brevet primaire en combinant deux molécules anciennes, dont l’une a déjà été largement exploitée. Jusque-là rien à redire, même si on se demande en tant que néophyte à quel point ce mélange représente une réelle invention méritant l’octroi d’un monopole. Une exclusivité permettant d’engranger des milliards de bénéfices chaque année, tout en restreignant l’accès des patient·es au médicament. En 2023, l’Entresto générait le plus gros chiffre d’affaires du groupe au niveau mondial, avec plus de 6 milliards de dollars.
Mais Novartis ne compte pas se contenter d’un monopole d’une vingtaine d’années, comme le prévoient les lois sur la propriété intellectuelle. La société helvétique a obtenu des brevets secondaires portant sur son utilisation, comme les dosages et les modes d’administration. Une astuce qui lui permet en principe de prolonger sa mainmise sur la formule de l’Entresto aux Etats-Unis pendant dix-huit ans encore, jusqu’en 2042. Des méthodes plus que contestables rendues possibles par la permissivité du droit aux Etats-Unis, en Suisse et ailleurs. Ces procédés renchérissent de façon significative les coûts de la santé, tant pour les assurés que pour l’Etat, posant la question du lobby des firmes pharmaceutiques, un poids lourd sous la coupole fédérale.
Un état des lieux qui interroge, quand on sait que la somme des dividendes payés aux actionnaires, des rachats d’action et des salaires des dirigeants de Roche, Novartis et consorts dépasse les montants alloués par ces firmes à la recherche et au développement. Ce débat est escamoté alors que le prix des médicaments représente un quart des dépenses de la LAMal.