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Politique migratoire: la crise? Non, la guerre!

Transitions

Les militant·es qui, depuis des années négociaient avec les autorités le sort des requérants d’asile et des sans-papiers se mettent en retraite: les guichets d’accueil sont fermés et on se heurte à des murs, matériels et informatiques. Les frontières sont devenues des forteresses sous la surveillance implacable des garde-frontières et garde-côtes de l’Agence Frontex, en passe de se muer en une redoutable armée, disposant des équipements dernier cri livrés par les multinationales de l’armement, comme pour n’importe quelle guerre. Forts de la détermination des autorités de l’Union européennes à mettre un terme à la «submersion migratoire», les agents, comme dans toutes les armées, multiplient les bavures. Plusieurs poursuites judiciaires sont en cours, notamment pour des «pushback» consistant à repousser en pleine mer, au risque de naufrage, des embarcations s’approchant des côtes, ou pour la transmission des coordonnées des bateaux repérés en pleine mer, aux garde-côtes libyens, sachant qu’ils s’empresseront de ramener ces égarés manu militari dans leurs ­sinistres prisons.

Alors que l’Union européenne se félicite d’avoir enfin conclu un « Pacte migratoire » censé réinjecter de la solidarité entre les pays membres de l’espace Schengen, dont la Suisse, et rétablir l’ordre aux frontières extérieures, rien en se passe comme prévu. Les gouvernements, dans la panique, mettent en œuvre diverses mesures: refoulements, construction de murs, et même le droit accordé aux forces armées de tirer préventivement et à balles réelles sur tout individu qui fait mine de s’approcher de la frontière. Dans la foulée, les femmes fortes et de droite, de l’Union européenne, Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni, se sont lancées dans la recherche de partenaires: après la Turquie, la Tunisie, l’Egypte, la Mauritanie, le Liban, dont les chefs de gouvernement s’engagent à ne plus laisser un seul migrant embarquer pour l’Europe, moyennant quelques centaines de millions d’euros. Le résultat est criminel. En Tunisie, empêchés de prendre la mer vers le Nord, les candidats à l’exil sont déportés vers le Sud, envoyés à la mort en plein désert. Quant à l’Egypte, non seulement elle refuse d’accueillir les réfugiés soudanais, mais elle les déporte systématiquement dans leur pays, en pleine zone de guerre. Le «Pacte migratoire», prétendument «ancré dans les valeurs européennes et le droit international», ne fait que masquer le cynisme des dirigeants européens, complices de crimes contre l’humanité.

Au-delà de l’écœurement que suscite cette politique, quelques questions surgissent pour imaginer d’autres voies. Outre les milliards apportés par la présidente de la Commission européenne à ses alliés, les externalisations mises en place avec l’Albanie ou le Rwanda coûtent une fortune.

Pour la Grande-Bretagne, le seul transfert de quatre migrants (par ailleurs volontaires) vers Kigali a représenté une dépense de 2,1 milliard de dollars! Avec cet argent, il y aurait moyen d’améliorer les procédures d’accueil des migrants, l’hébergement des requérants ailleurs que dans des centres fermés, leur formation et leur intégration. A l’inverse, c’est le manque d’argent qui est cause d’exil, l’Europe et les pays riches exploitant à leur profit les ressources du Sud. Ainsi les Sénégalais resteraient chez eux si des concessions de pêche n’avaient pas été accordées aux chalutiers chinois ou européens. Pareil pour les Nigériens si leur uranium, exporté en France, leur rapportait davantage que le 12% de sa valeur. Ce n’est pas l’opulence des pays riches dont les migrants veulent s’emparer. Ils aspireraient plutôt à récupérer, symboliquement ce qu’on leur a volé.

Que les populations de nos pays soient terrifiées par cette «invasion» et agitent la menace du «grand remplacement» est absurde! Ce terme conviendrait plutôt à ce qu’ont subi les populations autochtones précolombiennes des Amériques… et à celles qui subirent la colonisation.

Aujourd’hui, ce qui fait problème dans la politique migratoire, ce n’est pas la xénophobie, ni les limites démographiques, ni la surcharge des infrastructures. C’est le capitalisme et le néocolonialisme, causes des injustices et des guerres. Les populations n’ont pas vocation à haïr les migrants. Pour qu’elles en viennent là, il faut que quelqu’un les présente comme haïssables. C’est ce qui se passe quand on les rassemble dans des centres d’accueil isolés ou des lieux de détention, alors qu’on aurait les moyens d’adopter une politique inclusive, comme on le fait pour les ­Ukrainiens.

On raconte que dans les années 70 les médecins d’un hôpital psychiatrique dans je ne sais plus quelle ville anglaise avaient annoncé publiquement leur décision de renoncer à enfermer les «fous» et de les laisser aller et venir librement. Après avoir laissé passer le flot de protestations indignées du public, ils annoncèrent tranquillement que cette ouverture était déjà réalisée depuis plus d’une année et que personne ne s’en était aperçu. Au moment où le peuple suisse est invité à voter en faveur de la biodiversité, il serait bon de rappeler que celle-ci concerne également l’espèce humaine dans toutes ses particularités. Les adeptes des idéologies identitaires ­feraient bien de s’en souvenir.

* Ancienne conseillère nationale.
Dernière publication: En passant… chroniques & carnets, Editions d’en bas/Editions Le Courrier, 2024.

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lundi 8 janvier 2018

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