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«Le Comte de Monte-Cristo», d’après le roman d’Alexandre Dumas

Les écrans au prisme du genre

Contrairement au comédien Pierre Niney, ce roman d’Alexandre Dumas n’est pas du tout un de mes favoris, à la fois parce que les histoires de vengeance m’ennuient et me déplaisent, et parce que le personnage de Mercédès est dupe de l’homme qui a trahi son fiancé et qu’elle accepte d’épouser, ignorante presque jusqu’à la fin de cette trahison.

Mais cette adaptation, réalisée par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, s’efforce de donner au personnage d’Edmond Dantès une épaisseur humaine qui le rend émouvant, sinon sympathique. Le choix de simplifier considérablement l’intrigue pour privilégier le point de vue d’Edmond permet de tenir le défi d’un film de «seulement» trois heures. Exit le contexte des Cent jours et de la Monarchie de Juillet. La lettre de Napoléon, retrouvée dans les affaires d’Edmond sur le navire qui a fait escale non loin de l’île d’Elbe et qui, chez Dumas, fait accuser le jeune marin de complot bonapartiste, devient l’occasion d’introduire un personnage féminin supplémentaire dans une intrigue qui en manque singulièrement. L’adaptation invente une jeune femme, Angèle (Adèle Simphal), porteuse de la lettre, dont le bateau a fait naufrage et qui est recueillie sur le Pharaon au large de l’île d’Elbe, sauvée par Edmond malgré les consignes du capitaine Danglard (on est libre d’y voir une allusion aux sauvetages des migrants en Méditerranée); Angèle se révèle être la sœur rebelle du procureur Gérard de Villefort, qui n’hésite pas à la faire disparaître pour ne pas être compromis politiquement (dans le roman, c’est le père de Villefort, M. Noirtier, qui est le destinataire de la lettre de Napoléon). Vendue et réduite à l’état de prostituée, elle refait surface pour sauver le bébé de la maîtresse de son frère, que celui-ci s’apprêtait à enterrer vivant. Le bébé devenu adolescent sera recueilli par le comte de Monte-Cristo à la mort d’Angèle, sous le nom d’Andréa, et servira à la vengeance d’Edmond contre Villefort. On voit que les adaptateurs font une belle concurrence à Dumas pour l’invention de péripéties rocambolesques!

L’attraction principale du film est la performance de Pierre Niney, beaucoup plus jeune que la récente incarnation française d’Edmond Dantès par Gérard Depardieu – qui avait déjà 50 ans au moment du tournage de la mini-série télévisée de José Dayan (1998). Né en 1989, Pierre Niney n’a pas encore 35 ans au moment du tournage. Sa silhouette juvénile et son sourire éclatant donnent à la première partie toute la fraîcheur nécessaire à son idylle avec Mercédès, incarnée par Anaïs Demoustier (née en 1987), actrice tout aussi solaire.

C’est aussi au talent de ses deux acteur·ices que l’on doit la crédibilité de la dernière partie de l’histoire, quand ils se retrouvent vingt ans plus tard, avec tout le poids de leur tragédie sur les épaules. Par l’authenticité de sa douleur d’amoureuse tragique et de mère éplorée, Mercédès parvient à percer la carapace du comte de Monte-Cristo, et à le faire renoncer à se venger sur le fils de la trahison du père.

La romance entre Albert de Moncerf (Vassili Schneider), le fils de Mercédès, et Haydée (Anamaria Vartolomei), la jeune Turque que Monte-Cristo a sauvée et prise sous son aile, est un autre changement de l’adaptation. Dans le roman, c’est avec Haydée que Monte-Cristo quitte la France après avoir accompli sa vengeance. Ce couple quelque peu incestueux a disparu de l’adaptation au profit d’une histoire d’amour entre Albert et Haydée, les deux jeunes gens que Monte-Cristo laisse partir ensemble à la fin.

L’autre intrigue concernant les enfants des protagonistes a une fin moins heureuse: l’enfant enterré par Villefort qui devient le protégé de Monte-Cristo sous le nom fictif d’Andréa et l’instrument de sa vengeance, en confondant publiquement son procureur de père, le poignarde et est abattu par les gendarmes. Cette issue tragique, accentuée par la déploration d’Haydée sur le corps de celui qu’elle considérait comme son frère, opère un renversement pour le public: la vengeance de Monte-Cristo n’est plus perçue comme légitime car pour nous, aujourd’hui, les fils n’ont pas à payer pour les crimes de leurs pères.

Haydée elle-même acquiert une autonomie qu’elle n’a pas dans le roman: si elle se prête d’abord aux manœuvres de Monte-Cristo pour piéger Albert de Moncerf, elle finit par répondre aux sentiments d’Albert et désobéit à son mentor pour sauver son amoureux.

Le film se termine sur la lettre d’Edmond à Mercédès qui laisse ouverte la possibilité de leurs retrouvailles, fin plus ouverte que celle du roman, dans la mesure où le personnage d’Haydée ne fait plus obstacle.

Malgré le duel de la fin entre Monte-Cristo et Moncerf qui vire au grand guignol, on ne boudera pas son plaisir, grâce à une distribution éblouissante qui prouve que la littérature populaire du XIXe siècle a encore de beaux jours devant elle, et que le cinéma français n’est pas condamné à la double peine de la comédie de boulevard et du narcissisme distingué du cinéma d’auteur!

Geneviève Sellier est historienne du cinéma. www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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