La vie familiale d’une enfant jugée contraire à l’intérêt de la Suisse
Adelina1>prénom d’emprunt. naît en 2005 au Kosovo. Elle y grandit avec sa mère jusqu’en 2018, année où celle-ci décide de rejoindre son mari en Suisse. Le père d’Adelina vit en Suisse depuis une dizaine d’années et possède un permis d’établissement (permis C) depuis cinq ans. En partant, la mère d’Adelina laisse momentanément sa fille, alors âgée de 12 ans, chez sa grand-mère.
Une année plus tard, Adelina dépose une demande de regroupement familial auprès des autorités du canton où vivent ses parents. Celles-ci lui répondent favorablement, et transmettent la demande au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour approbation finale. Mais en janvier 2021, ce dernier refuse l’autorisation de séjour en faveur d’Adelina au motif que la demande a été déposée hors du délai légal.
La loi sur les étranger∙ères (LEI) prescrit en effet que le regroupement familial pour un enfant de moins de 12 ans, dont le parent est suisse ou titulaire d’un permis C ou B, doit être demandé dans un délai de cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, ce délai est de seulement douze mois (art. 47 LEI). Etant précisé que si le ou la parent·e est étranger·ère, le délai commence à courir soit au moment de l’octroi de l’autorisation de séjour, soit lors de l’établissement du lien familial. Saisi par les parents d’Adelina, le Tribunal fédéral décrètera en outre que le non-respect du délai par l’un des parents est opposable à l’autre2>Arrêt 2C 882/2022 du 7 février 2023.. Ainsi, le regroupement familial avec le deuxième parent à la suite de son arrivée en Suisse et à l’obtention de son permis de séjour n’est pas possible.
Outre cette limitation temporelle, le droit au regroupement familial est également soumis à plusieurs conditions matérielles. Le ou la parent·e étranger·ère qui souhaite faire venir sa ou son époux∙se ou ses enfants doit disposer d’un appartement suffisamment grand pour toute la famille et avoir des ressources financières suffisantes pour la prendre en charge sans recevoir d’aide sociale ni de prestations complémentaires AVS/AI. Des exigences qu’il est souvent difficile à remplir dans un délai de douze mois tel que mentionné ci-dessus. Or, si le délai est dépassé, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des «raisons familiales majeures».
Que recoupe cette notion? Selon le Tribunal fédéral, «la seule possibilité de voir la famille réunie» ne constitue pas une raison familiale majeure, le fait «que le regroupant n’ait pas réussi dans les délais à remplir les conditions (…) notamment sur le plan financier» non plus. De même, le récent déménagement dans un appartement enfin reconnu comme suffisamment grand n’est pas de nature à justifier une demande hors délai.
Il y a une raison personnelle majeure, reconnait le Tribunal fédéral, «lorsque la prise en charge d’un enfant dans son pays d’origine n’est plus garantie», étant précisé toutefois qu’il y a d’abord lieu «d’examiner s’il existe des solutions alternatives permettant à l’enfant de rester dans son pays. Dans le cas d’Adelina, le SEM estime que les problèmes de santé de sa grand-mère sont de nature à rendre plus difficile sa prise en charge, mais que cela ne l’exclut pas totalement. En outre, les parents n’ont pas démontré qu’un oncle ou une tante vivant au pays ne pourraient pas prendre en charge l’enfant. Verdict: de l’avis du tribunal, aucune raison majeure ne justifie de considérer la demande de regroupement déposée par la famille.
L’objectif de ce refus est clair: «Les délais fixés à l’art. 47 LEI ont aussi pour fonction de permettre le contrôle de l’arrivée de personnes étrangères. Il s’agit d’un intérêt légitime de l’Etat au sens de l’art. 8 par. 2 CEDH permettant de restreindre le droit à la vie familiale», souligne le tribunal. Pour Adelina, le tribunal a ainsi estimé qu’il était dans l’intérêt de la Suisse d’exiger qu’elle reste seule au Kosovo auprès de sa grand-mère malade où de toute façon ses parents pourront «continuer à lui rendre visite ainsi que lui envoyer une aide financière.» De toute évidence, la fondamentale envie de vivre ensemble d’une famille et l’intérêt d’une enfant de 14 ans de grandir auprès de ses parents ne pèsent pas lourd dans la balance des autorités suisses.
Point d’honneur final: l’arrêt se conclut sur l’imposition aux parents du paiement des 1000 francs de frais de procédure judiciaire car leur recours était «d’emblée dénué de chances de succès».
Notes
* Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·ères (ODAE).