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Hôpitaux suisses en faillite?

À votre santé!

Récemment dans la presse quotidienne, on a pu découvrir la «perte d’un milliard des hôpitaux suisses», des «hôpitaux suisses financièrement au bord du gouffre», ainsi qu’un «risque de catastrophe financière» et une «faillite technique avec une marge Ebitda à 1,8%» (équivalent au bénéfice net avant impôt, intérêts et amortissements, soit une mesure de la rentabilité d’une entreprise dont l’indicateur devrait se situer à 10%). Tout est fait pour alarmer et inquiéter le public qui se demande comment il va pouvoir encore être pris en charge en cas de maladie. D’autant que l’on continue à nous dire qu’il y a trop d’hôpitaux de soins aigus en Suisse, malgré la diminution drastique opérée depuis vingt ans. Et que la solution est encore de concentrer les soins pour «améliorer la rentabilité» des établissements de soins.

Ainsi, dans ma région, par exemple, il n’y a déjà plus qu’un hôpital de soins aigus qui ne répond pas toujours aux besoins de la population, là où, il y a six ans, il y en avait encore quatre – avec des missions spécifiques définies quinze ans plus tôt. Il y a un an déjà, les hôpitaux universitaires avaient tiré la sonnette d’alarme, annonçant des pertes financières importantes, chiffrées en centaines de millions de francs par an, sans que le monde politique parvienne à trouver une solution pérenne. Ce qui est assez paradoxal dans un pays qui a une économie forte et montre une fois de plus le blocage politique au parlement.

Les hôpitaux sont sous tension, car on leur demande – ce qui est absurde – d’être gérés comme des entreprises dont le but est de dégager des bénéfices. Comme si l’on ne savait pas que la santé est un «marché» très régulé, non rentable en soi, où les consommateurs (les patient·es ou les assuré·es) sont captifs – on est heureusement obligé d’être assuré et la marge du choix des prestations (quel hôpital? quels médicaments? voire quel médecin traitant?) est restreinte. Sans compter que l’on ne choisit pas de tomber malade, ni sa maladie.

Les hôpitaux ont de la peine à se relever de la période Covid où de nombreux soins, en particulier chirurgicaux, ont été annulés ou reportés – ce qui entraîne un manque à gagner – et ressentent tous l’augmentation des coûts fixes, en particulier celui de l’énergie. De plus, ils font face à une exigence – voulue heureusement par le peuple avec l’acceptation de l’initiative sur les soins infirmiers en 2021 – de revalorisation du travail des soignant·es et d’une augmentation de la masse salariale – souvenez-vous des applaudissements que nous leur adressions pendant le Covid. Cela alors que les hausses des tarifs de remboursement des prestations hospitalières n’ont eu lieu que très partiellement. C’est un cercle vicieux.

Les assurances ne veulent pas d’augmentation tarifaire, qu’elles répercuteraient immédiatement sur les primes que chacun·e de nous a déjà de la peine à payer chaque mois (plus de 25% d’entre nous perçoivent heureusement des subsides cantonaux pour en financer une partie). Les cantons rechignent à financer davantage les hôpitaux et leur demandent «de faire des économies». Sachant que les salaires représentent une très grosse part des coûts hospitaliers, c’est hélas souvent une «variable» utilisée pour rester dans les «limites du budget octroyé», bien qu’à l’encontre des principes adoptés par le peuple en 2021.

Parfois, de manière cachée, en morcelant le travail, les directions d’hôpitaux parviennent tout de même à tordre ces principes en engageant des personnes avec moins de qualification et donc moins bien payées: cela s’appelle de l’optimisation budgétaire. Mais c’est au prix de la qualité et au détriment d’une prise en charge holistique des patient·es, pourtant si importante et préconisée partout. Peut-être pourrait-on imposer des tarifs préférentiels d’approvisionnement en énergie, d’autant que la marge des fournisseurs est plutôt grande? Mais ce n’est pas dans l’air du temps.

Cette «crise financière» hospitalière a aussi une répercussion sur les investissements qui, il est vrai, manquent encore souvent de planification globale cantonale, voire supra-cantonale. Il n’y a donc pas de faillite, mais bien une lutte autour de la question de «qui finance les coûts réels». Et la réforme moniste de financement soumise au peuple en novembre sous le nom de EFAS n’y changera rien.

Peut-être la caisse maladie publique unique aiderait à résoudre cette question, avec en parallèle un renforcement des filières de soins… mais c’est un autre sujet!

Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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