Entre cynisme et hypocrisie
Dans la guerre en cours au Moyen-Orient, certaines puissances font décidément assaut de cynisme autant que d’hypocrisie.
Tout en déplorant les massacres de civils à Gaza depuis dix mois et en affirmant vouloir circonscrire le conflit, les Etats-Unis n’en continuent pas moins de livrer à Israël tout l’armement nécessaire. Et eux si puissants, ils se sont même prétendus incapables de rendre opérationnel le pont flottant qu’ils voulaient créer pour approvisionner une population menacée de famine!
La Russie et les pays arabes dénoncent Israël mais se gardent bien de toute réaction concrète. Moscou contrôle l’espace aérien syrien, mais le laisse pourtant régulièrement violer par les avions de Tsahal. L’Egypte et la Jordanie n’ont même pas feint de suspendre leurs relations diplomatiques avec l’Etat hébreu, sans doute par peur des mesures de rétorsion américaines. Les monarchies du Golfe protestent mollement contre l’hécatombe en cours à Gaza, alors qu’avec l’arme du pétrole, elles disposent pourtant toujours d’un puissant moyen de pression.
Quant au président Erdogan, il menace maintenant d’intervenir aux côtés des Palestiniens, mais il a attendu le mois de mai avant de suspendre toute relation commerciale avec Tel-Aviv. Et l’or noir venu d’Azerbaïdjan continue de transiter vers Israël à travers le territoire turc.
Mais en matière de cynisme et d’hypocrisie, ce sont sûrement les actuels dirigeants israéliens qui l’emportent sur tous les autres.
Passons sur les déclarations de Netanyahou selon lesquelles l’intervention dévastatrice d’Israël à Gaza serait la plus morale qui ait jamais existé, ou qu’elle témoignerait d’une lutte entre la civilisation et la barbarie, des propos dernièrement ovationnés par une majorité d’élus du Congrès américain!
Mais surtout, lors de la mort récente de douze jeunes druzes tués par une frappe attribuée au Hezbollah1>Lire E. Elbaz-Phelps, «Israël se dit ‘proche d’une guerre totale avec
le Hezbollah’, après une attaque qui a tué 12 personnes»,
Le Courrier du 29 juillet 2024, ndlr., le leader israélien n’a-t-il pas eu l’outrecuidance de dénoncer toute attaque contre des civils innocents, alors que, sous prétexte d’éliminer tel ou tel chef terroriste, son armée elle-même cible intentionnellement à Gaza des écoles ou des hôpitaux?
Et s’ils voulaient vraiment négocier avec le Hamas la libération des otages que ce mouvement détient, les chefs d’Israël devaient-ils maintenant éliminer le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh? Une exécution extrajudiciaire qui va vraisemblablement compromettre toute solution négociée et qui, en plus, intervient lors de l’intronisation d’un nouveau président iranien plus ouvert au dialogue que ses prédécesseurs, et dont la marge de manœuvre va dès lors se trouver réduite.
Le plus inquiétant, c’est que ces surenchères de cynisme et d’hypocrisie ne suscitent guère de réprobation parmi les pouvoirs politiques occidentaux (d’habitude si prompts à moraliser), et ce alors même qu’elles violent allégrement la légalité internationale. Peur de froisser un allié, d’alimenter l’antisémitisme, voire acceptation tacite du droit d’Israël à se défendre par n’importe quel moyen, quitte à accepter la colonisation de toute la Palestine (nos chancelleries ont de fait peu protesté contre la récente décision de la Knesset de rejeter la solution à deux Etats)? Autant de mauvaises raisons qui peuvent expliquer ici la passivité occidentale.
Or, cette inaction ne fait que retarder la solution du conflit en cours; pire même, elle finira par persuader le reste du monde que l’Occident n’a jamais brandi sa morale que quand elle servait ses intérêts! Sur ce sujet de la guerre, ce sont les religieux druzes du village martyr de Majdal Shams qui ont tenu le discours que nous aurions attendu de nos élites moralisatrices, eux qui ont en vain supplié le gouvernement israélien de ne pas surréagir comme il le fait d’habitude, de ne pas ajouter de la haine à la haine, partant de l’idée que la vengeance n’a jamais rien résolu. Des vœux pieux, leur rétorqueront sûrement tous ces extrémistes qui se disent de bons croyants mais qui, cyniques autant qu’hypocrites et forts de notre silence, enfoncent en fait le Moyen-Orient dans une diabolique politique du pire, des évangélistes trumpistes aux fondamentalistes juifs, en passant par les islamistes de tous bords.
Notes