Agora

L’anti-antifasciste: Mme Meloni

L’historien Luciano Canfora est sous le coup de poursuites judiciaires à la suite d’une plainte pour diffamation déposée par Giorgia Meloni. Il l’avait traitée de «néonazie dans l’âme». La cheffe du gouvernement italien n’en est pas à son premier procès contre des intellectuels engagés. Eclairage.
Italie

Luciano Canfora est professeur de philologie grecque et latine. En 1999, il s’est présenté aux élections européennes sur la liste du Parti des communistes italiens. Ses travaux sont célèbres et respectés 1>Luciano Canfora, derniers livres traduits: Philologie et liberté. La plus subversive des disciplines, l’indépendance de pensée et le droit à la vérité, Delga, Paris, 2020; Politique et littérature dans la Rome ancienne. Des origines à Auguste, Delga, 2023.. Il est l’objet d’une plainte en diffamation portée par la première ministre d’Italie, Giorgia Meloni. Elle demande 20 000 euros de dommages et intérêts. Le procès aura lieu le 7 octobre.

Mme Meloni se sent atteinte dans sa réputation parce qu’il y a deux ans, lors d’une conférence dans un lycée, M. Canfora l’a qualifiée de «néonazie dans l’âme». Il évoquait son soutien au bataillon Azov. Mme Meloni est blessée. Or, elle a fondé et dirige un parti qui émane du MSI [Mouvement social italien], et le MSI fut l’héritier du fascisme de Salò (République sociale italienne, 1943-45), voulue par l’occupant nazi, ou, comme le dit Canfora, «un Etat collaborateur du Troisième Reich». Si Canfora l’avait traitée de néofasciste, aurait-il eu un procès? Peut-être pas. Elle n’a aucun mal à refuser de se déclarer antifasciste, et n’a jamais condamné les manifestations à caractère néofasciste. Fratelli d’Italia arbore toujours la flamme tricolore du Mouvement social italien, dont le fondateur, Giorgio Almirante (1914-1988), affirmait en 1987 que le fascisme était «le but ultime» (il traguardo).

Mais il n’y a pas que la qualification de néonazie que Mme Meloni n’apprécie pas. De façon générale, elle n’apprécie pas qu’on la critique, et apprécie en revanche de faire connaître son mécontentement, via les tribunaux. Elle a porté plainte contre l’écrivain Roberto Saviano (Gomorra, 2006) condamné à 1000 euros de dommages en première instance (elle en demandait 75 000) pour avoir traité de «salauds» la première ministre et son vice-premier ministre, Matteo Salvini, à la suite de la mort d’un bébé sur un bateau de migrants: «Giorgia Meloni me considère comme un ennemi», expliquait-il. «Sa volonté et celle de ses associés au gouvernement est de m’anéantir. […] Ils ont contraint des juges à définir le périmètre dans lequel il est possible de critiquer le pouvoir» (Libération, 2 décembre 2022). Pour Antonio Scurati, auteur d’une suite romanesque en quatre tomes consacrée à Benito Mussolini (M, l’enfant du siècle, Les Arènes, 2020), pas besoin de tribunal: à l’occasion de l’anniversaire de la libération de l’Italie, le 26 avril, il devait proposer un monologue sur l’antifascisme, sur la RAI. Il a été déprogrammé.

Notes[+]

L’article est paru dans «Contrebande – Les blogs du Diplo».

Opinions Agora Evelyne Pieiller Italie Justice 

Connexion