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Arrêtez le massacre!

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On n’en peut plus! Jour après jour, sur nos écrans, on regarde, hébétés, les images insoutenables du carnage de la nuit dernière, ou de celles d’avant, à Gaza: les Palestiniens et des Palestiniennes réfugiés dans des camps dits sûrs attaqués en pleine nuit. Les bombes, les bâtiments qui s’effondrent, l’incendie qui court d’une tente à l’autre. Un enfant immobile fixe la camera, debout devant sa mère assise sur des gravats, accablée d’une lassitude infinie. Il faudra fuir encore une fois, charger ce qui reste des bagages sur un âne ou un char, partir vers nulle part. Tous les jours, le monde entier voit les larmes, la mort, les ruines. Bon sang! N’y a-t-il personne pour faire cesser ce massacre? On n’arrive plus à prêter l’oreille aux promesses de trêve, qui, à peine proférées sont englouties par l’insatiable soif de vengeance. Il faudrait peut-être une grève générale mondiale? Que l’humanité entière se dresse contre cette mortelle impuissance collective qui nous brûle à l’intérieur? Qu’on occupe toutes les places des villes, les entreprises, les parlements, les églises, tous et toutes déterminés à proclamer cette seule exigence: Arrêtez le massacre!

Par bonheur, en Suisse et dans le monde, des étudiantes et des étudiants se sont mobilisés pour soutenir la Palestine. Ils ont occupé les campus, les halls des universités, les auditoires. Ils ont interpellé les autorités académiques, cherché comment susciter un mouvement de grande ampleur dans ce monde tétanisé par l’horreur d’un génocide en cours. Ils nous ont rendu un peu d’innocence. Peu importe leurs initiatives brouillonnes. Echapper à l’impuissance, c’est d’abord, éperdument, chercher des modes d’action qui donnent du sens, qui créent du lien, qui consolident la résistance à l’intolérable, qui tracent des voies vers la solidarité.

Hélas, cet élan viral du cœur et des tripes, de même que le ralliement d’un certain nombre de professeur·es, n’ont pas manqué de susciter de vives querelles et des appels à rétablir l’ordre. Dans les médias, chroniques et tribunes ont déferlé. Les gardiens de la tradition s’en sont pris tour à tour aux étudiant·es, qualifiés d’«idiots utiles du Hamas», ou de têtes brûlées manipulées par des gauchistes; aux universités, accusées de politisation, dérive abhorrée des maîtres du savoir et du droit; aux rectorats, perçus comme les otages des jeunes activistes et sommés de «siffler la fin de la récréation»; aux professeurs félons passés dans le camp des militants, accusés de trahir le principe présumé universel de la neutralité de la science, garante d’un académisme étriqué. (Moi qui croyais pourtant, comme Rabelais, que «science sans conscience n’est que ruine de l’âme»).

Pendant ce temps, la Suisse, elle, se tait. Elle organise une conférence pour la paix en Ukraine, mais la situation en Palestine semble la laisser de marbre. Du Conseil fédéral n’émane ni critique ni colère à l’égard d’Israël et encore moins d’indignation. Au contraire: dans une récente déclaration, il a rappelé qu’il condamne les attaques du Hamas «avec la plus grande fermeté, mais qu’il reconnaît le droit de chaque Etat à assurer sa sécurité». C’est élégamment dit, mais en langage non diplomatique, cette politique consiste à punir Gaza en supprimant les aides financières aux organisations d’aide humanitaire indispensables à la survie de la population palestinienne. Quant à notre présidente, Viola Amherd, elle a clairement rappelé qu’il n’était pas question de renoncer à nos bonnes relations militaires avec Israël: «La coopération ne sera pas remise en question uniquement à cause de la guerre à Gaza.» Même si nous risquons d’être considérés comme complices d’un génocide!

Le drame de ces mois de barbarie, c’est que chaque nouveau crime contre l’humanité suscite davantage de polémiques que d’indignation. Il faudrait que les militaires, les ministres, les professeurs, les éditorialistes, les philosophes, les historiens renoncent pour un temps à leurs exégèses, leurs analyses académiques, leurs justifications amphigouriques ou leurs mensonges, et ouvrent les yeux sur les dévastations en cours à Gaza et en Cisjordanie, qu’ils réapprennent à s’indigner et à se poser les bonnes questions. On peut disserter sur le futur à long terme de l’enclave palestinienne, mais demain, si jamais une trêve est déclarée, où pourront se loger les centaines de milliers d’habitant·es dont les maisons sont détruites?

Ce qui fait mal, c’est la disproportion entre la tranquille politique étrangère de la Confédération et l’effacement de tout un peuple et de sa terre. Nous nous sentons abandonnés à notre impuissance, aux prises avec une forme de déshumanisation. Les jeunes des universités ou les militant·es s’en remettront. Mais nous, les aîné·es, nous voyons notre vieux rêve de justice, d’humanisme et de paix devenir plus aléatoire. Comme l’écrivait Louis Aragon en 1960: «C’est un rêve modeste et fou, il aurait mieux valu le taire, on nous mettra avec en terre, comme une étoile au fond d’un trou.

Anne-Catherine Menétrey-Savary est une ancienne conseillère nationale. Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

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lundi 8 janvier 2018

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