Contrechamp

Se protéger au sein du couple non marié

Au gré des formes multiples qu’il peut prendre, chaque couple a une histoire particulière. Toutefois, les relations amoureuses sont des terrains propices à la reproduction des schémas de domination patriarcale. L’association genevoise F-information expose les droits des personnes qui vivent en concubinage, notamment en cas de séparation.
Se protéger au sein du couple non marié
Une convention de concubinage permet de définir des règles applicables au couple, de connaître les droits et devoirs de chacun·e et de se protéger si besoin; pour la rédiger, on peut faire appel à F-information. KEYSTONE
Genève

Nous vivons une période phare de déconstruction des rapports amoureux. De nombreux livres, articles et podcasts s’emparent de ce sujet1>Voir la riche documentation de la bibliothèque Filigrane.. De moins en moins de couples se marient et de plus en plus de partenaires souhaitent garder leur indépendance. Or, le simple fait de cohabiter dans un système-famille crée des liens d’interdépendance. En effet, les partenaires se partagent les rôles concernant le travail hors du foyer (rémunéré) et le travail ménager (non rémunéré), investissent ensemble de l’argent pour le logement et l’entretien de la famille, ou encore élèvent des enfants communs et non communs2>Francesca Ranzanici Ciresa, Le concubinage en droit suisse, p. 57.. En découlent une série de problématiques juridiques et un besoin de protection, qui s’accentue au moment d’une éventuelle séparation.

Signer une convention de concubinage

Les droits du mariage, du divorce et des assurances sociales ont instauré des mécanismes de «protection de la partie faible», historiquement conçus pour protéger la ménagère divorcée et la veuve. Ces protections ne s’appliquent pas aux unions libres, car la communauté de vie n’engendre pas de devoir d’assistance réciproque. La législation prend parfois en compte le lien existant de fait entre les partenaires en union libre, mais ne permet pas de régler toutes les conséquences de la vie commune ou séparée. Par exemple, elle ne prévoit pas le versement d’une contribution d’entretien au profit de l’ex-partenaire, ni le devoir de renseigner sur sa situation financière. En cas de conflit, les partenaires peuvent entreprendre une médiation ou solliciter l’intervention d’un tribunal, qui appliquera les règles ordinaires de droit privé et la jurisprudence.

Les partenaires en union libre ont donc intérêt de signer une convention de concubinage, afin d’adapter leurs règles à leur mode de vie, de protéger les droits de chacun·e et d’éviter les conflits coûteux et inutiles en cas de séparation. Les différents aspects de la vie du couple ou de la famille peuvent être réglés dans cette convention de concubinage.

La répartition des tâches pendant la vie commune. La majorité des disparités observées au sein des unions libres provient des choix d’organisation de la vie commune, de la répartition des tâches au sein de la famille et du mode de contribution à l’union3>Ibid., p. 85.. Il faut le répéter, le travail du «care» est indispensable au bon fonctionnement du système et de la famille. Notamment la gestion et l’éducation des enfants, le travail ménager, le soutien aux parents âgés ou dans le besoin, l’aide à l’activité du ou de la partenaire sans compensation salariale. La société entière profite du renouvellement démographique, de la gestion privée des enfants et des personnes âgées ou dans le besoin. Pourtant, le «care» n’est encore pas assez considéré, socialement et financièrement.

Malgré la modernisation du monde du travail et des modes de vie, nous constatons que, dans la plupart des familles, ce sont encore très souvent les femmes qui réduisent leur temps de travail pour s’occuper du travail éducatif et ménager4>78% des mères actives qui élèvent des enfants de moins de 25 ans travaillent à temps partiel. C’est le cas pour 12% des pères (OFS, 2021).. Ce faisant, elles renoncent à développer leur carrière, à obtenir un salaire plus élevé et de meilleures cotisations pour leur retraite. Ce «choix» de réduire son temps de travail est dicté par plusieurs raisons: culturelles, de disparité salariale et de manque d’accès aux structures d’accueil pour enfants.

Ainsi, en l’absence d’un devoir d’assistance au sein des unions libres, il est recommandé aux partenaires de fixer dans une convention de concubinage la façon dont chacune et chacun apporte sa contribution à l’entretien du ménage et de la famille. Lors de la rédaction de cette convention, nous encourageons les partenaires à évaluer, estimer et considérer le travail du «care» pour mesurer son importance, sa valeur économique et ses conséquences. Ainsi, la personne qui travaille hors du foyer peut, dans un esprit d’équité, s’engager à dédommager la personne qui s’occupe du ménage, des proches et des enfants et prévoir une compensation des lacunes de l’AVS et de la LPP. Les partenaires peuvent également prévoir de partager les frais d’entretien du ménage au prorata de leurs revenus, par exemple en versant une somme mensuelle fixe sur un compte commun.

• Le logement. Contrairement aux personnes mariées, les partenaires en union libre ne bénéficient pas d’un régime légal de protection du logement commun. Ainsi, si le bail est au nom d’un seul partenaire, l’autre n’a aucun droit, ni aucune responsabilité, face au bailleur. Il est donc recommandé d’établir un bail aux deux noms, ou de prévoir un contrat de sous-location pour l’autre partenaire et de l’annoncer à la gérance. Les partenaires deviennent alors solidairement responsables du paiement du bail et ne peuvent le résilier que d’un commun accord.

Pour les propriétaires, il est conseillé d’établir une convention de copropriété afin de se rendre solidairement responsables de l’entretien et des charges et de sorte que le logement ne puisse être vendu sans l’accord de l’autre. Alternative: les partenaires peuvent convenir d’un droit d’habitation dans le logement commun, en prévoyant un délai raisonnable de résiliation.

Dans tous les cas, les partenaires en union libre auront intérêt à tenir une comptabilité spécifique pour le logement, précisant qui a investi quel montant et qui est propriétaire de quel bien.

• Les enfants communs. La filiation maternelle est établie par la naissance de l’enfant. En dehors du mariage, la filiation avec l’autre parent s’établit par une reconnaissance ou par une décision du tribunal. L’adoption conjointe n’est pas ouverte aux partenaires en union libre. Une personne peut adopter individuellement, puis l’enfant peut être adopté par l’autre partenaire, à condition de faire ménage commun depuis au moins trois ans et de ne pas être marié·e.

Les parents ont la possibilité de signer une déclaration d’autorité parentale conjointe et de choisir l’attribution de la bonification pour tâches éducatives, qui prend en compte le soin apporté à l’enfant âgé de moins de 16 ans dans le calcul de l’AVS. En cas de désaccord, les parents peuvent s’adresser à l’autorité de protection de l’enfant du lieu de domicile de l’enfant.

En ce qui concerne l’obligation d’entretien de l’enfant, elle ne dépend pas de l’état civil. Les parents ont un devoir d’entretien envers leur enfant dès que le lien de filiation est établi (art. 276 CC). En cas de vie séparée, on calcule une contribution d’entretien pour l’enfant5>Pour comprendre le calcul d’une contribution d’entretien, voir «Entretien des membres de la famille en cas de séparation…» sur le site de F-information; accès direct: https://tinyurl.com/58jnye2m. Si l’un des parents diminue son temps de travail pour prendre en charge l’enfant, le coût de cette prise en charge doit être calculé dans la contribution. En cas de désaccord concernant l’entretien financier de l’enfant commun, les parents peuvent s’adresser au tribunal de première instance du lieu de domicile de l’enfant.

Nous recommandons aux parents de réfléchir au mode de garde pendant l’union comme en cas de séparation. Il est opportun de prévoir un dédommagement en faveur du parent qui renonce ou diminue son activité lucrative pour s’occuper des enfants. Nous recommandons également de partager les frais d’entretien des enfants au prorata des revenus.

• Représentation et décès. Contrairement aux personnes mariées, les partenaires en union libre ne disposent pas d’un droit légal de représentation. Ainsi, lorsqu’une personne souhaite se faire représenter par son ou sa partenaire en cas de perte de discernement, il est recommandé de constituer un mandat pour cause d’inaptitude, notamment pour la gestion du patrimoine et la représentation dans les rapports juridiques avec les tiers.

Dans le domaine médical, le Code civil suisse prévoit que la personne qui fait ménage commun avec une personne incapable de discernement et qui lui fournit une assistance personnelle régulière est habilitée à la représenter et à consentir ou non aux soins médicaux que le médecin envisage de lui administrer (art. 378 al. 1 ch. 4). Il peut tout de même être utile de rédiger des directives anticipées.

Quand rien ne va plus…

En cas de décès, le ou la partenaire n’a pas la qualité d’héritier légal. Afin de remédier à cela, il est conseillé de rédiger un testament pour lui léguer la part qui n’est pas réservée aux héritiers légaux, ou un pacte successoral. Par ailleurs, les partenaires en union libre n’ont pas droit à une rente de survivant, même en présence d’enfants communs. Des prestations du 2e pilier obligatoire peuvent lui revenir, dans la mesure où le règlement de l’institution de prévoyance de la personne défunte le prévoit. Pour remédier à cette absence de droits en matière d’assurances sociales, les partenaires en union libre peuvent prendre des dispositions de prévoyance individuelle (3e pilier), notamment sous forme d’épargne bancaire ou de contrat d’assurance vie.

Vivre une séparation constitue une période délicate, un bouleversement des repères et des habitudes qui nécessite des réorganisations concrètes et psychologiques. Quiconque a déjà connu une rupture confirmera qu’on est toujours plus sage et solidaire avec sa ou son partenaire lorsque le couple fonctionne, plutôt qu’au moment où il bat de l’aile. D’où l’importance de définir le rôle et les prétentions économiques de chacun·e pendant l’union, et de planifier en amont une éventuelle séparation. Les points essentiels à prévoir sont une possible contribution d’entretien, la garde des enfants communs s’il y a lieu, ainsi que le sort du logement familial, des biens et du patrimoine.

A défaut de convention, il est difficile d’avoir une idée précise des droits et obligations qui découlent d’un concubinage; il règne un sentiment d’insécurité juridique. Les ex-partenaires peuvent saisir un tribunal en cas de désaccord. Les juges appliquent alors les règles ordinaires de droit ou, selon les circonstances, les règles de la société simple6>Par exemple en cas d’exploitation en commun d’une entreprise ou d’achat en commun d’une maison.. A relever que ces procédures peuvent être complexes, longues et coûteuses.

Ces quelques recommandations visent à protéger la «partie faible». Chaque couple est libre de définir son niveau d’engagement et d’investissement. Une union libre informelle ne pose aucun problème lorsque les deux partenaires ont une indépendance économique et lorsqu’il n’y a pas d’enfant. Dans tous les cas, il est préférable pour les partenaires de définir en amont la forme de leur union, afin de pouvoir se positionner en connaissance de cause, de connaitre ses droits et ses devoirs et de se protéger si besoin7>Pour rédiger une convention de concubinage, on peut notamment s’adresser à F-information, la Chambre des notaires de Genève, au Bureau information femmes (BIF) à Lausanne, ou à myright.ch. A Genève, il est aussi possible d’établir un Pacs cantonal. Pour plus d’info: www.ge.ch/union/partenariat-cantonal.

 

Notes[+]

Le 14 juin, F-information animera en collaboration avec le Réseau femmes* un atelier fabrication de pancartes, badges et un stand maquillage pour la Grève féministe, de 14h30-16h30, à la Collective (4, r. Pearl-Grobet-Secrétan).

Opinions Contrechamp Marine Pernet Genève

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