Chroniques

Citoyenneté et démocratie: la longue marche

L’IMPOLIGRAPHE

Dimanche soir, on saura comment se porte la démocratie à Genève. Ou plutôt comment se porte le sentiment démocratique de la portion (minoritaire) de la population genevoise qui dispose du droit de vote cantonal: on va lui demander si elle est d’accord d’octroyer, souverainement, les droits dont elle dispose à des dizaines de milliers d’habitantes et d’habitants du canton qui en sont privés faute de la bonne couleur de passeport. Etant privés de ces droits, ils et elles ont été jusqu’à présent, et le seront dimanche encore, privés de celui de se prononcer sur des enjeux qui peuvent les concerner directement: les impôts qu’ils et elles paient, le salaire minimum, le logement, l’aide sociale, les heures d’ouverture des ­magasins…

C’est une longue marche que celle amenant à une démocratie où la majorité du peuple disposerait des droits politiques, ce qui pourtant devrait être la définition même de la démocratie. Et il y en a toujours eu, et sans doute y en aura-t-il toujours, pour supplier ou tempêter qu’on l’interrompe, cette longue marche. Qu’on en reste là où on est déjà si péniblement arrivé. Jusque là, mais pas plus loin. A Genève, il aura fallu attendre 1798 pour que les catholiques obtiennent les droits politiques dans le champ où ils étaient concédés à l’époque, puis 1846 pour que les pauvres (les non-propriétaires) y accèdent, 1961 pour que les femmes en disposent, 2006 pour que les étrangers et les étrangères puissent en jouir (et encore, partiellement) au plan municipal. Pourront-ils et elles en jouir désormais au plan cantonal? Cela ne dépend que de celles et ceux qui en jouissent déjà, comme il dépendait en 1846 des riches que les pauvres en jouissent, en 1961 des hommes que les femmes y accèdent et en 2006 des Suisses du canton que les étrangers des communes puissent y voter.

Accrochée à la nationalité de naissance ou par naturalisation comme un morpion à un entrejambe, la droite nous prêche encore que la citoyenneté active doit rester rivée à la nationalité formelle. Comme elle prêchait naguère qu’elle devait l’être au sexe, ou à la propriété, ou à la religion, ou aux trois à la fois. Comme si la citoyenneté relevait du tribalisme. Mais d’où diable ai-je tiré mes droits politiques, moi? D’un examen de ma compatibilité avec les «valeurs nationales»? Non: des couilles paternelles. Par quel effort les ai-je conquis, mes droits politiques? Aucun. Qu’ai-je fait pour les obtenir? Je suis né. Rien d’autre? Rien d’autre, comme en faisait reproche Figaro au comte. Je suis indigène, qu’y puis-je? Rien, c’est ainsi. Mes droits politiques, je les ai acquis comme la couleur de mes yeux. La nationalité par le droit du sang, c’est une nationalité par droit du sperme1>Sans oublier la transmission de la nationalité par filiation maternelle, reconnue (seulement) depuis le 1er juillet 1985, ndlr.. Et la nationalité par la naturalisation, c’est une nationalité par le fric: vous recevez une aide sociale? Pas de naturalisation possible.

Sans doute la démocratie ne se résume-t-elle pas aux droits de vote, d’élection et d’éligibilité (des milliers d’étrangères et d’étrangers sans droits politiques institutionnels sont engagés dans des associations, des syndicats, des mouvements de base – et même dans des partis politiques) mais sans ces droits, elle reste amputée. Et ce n’est pas pour rien que chaque élargissement du corps électoral, chaque dépassement de ses limites, a été au moins la revendication réprimée (souvent brutalement, parfois sanguinairement) de mouvements sociaux considérables faisant usage de ces autres droits démocratiques fondamentaux que sont les manifestations, les grèves, parfois les insurrections et, finalement, si rien de tout cela n’a abouti, des révolutions. Comme à Genève en 1782, en 1794, en 1846.

Il n’y a pas plus de raison aujourd’hui pour qu’à Genève la citoyenneté active reste rivée à la nationalité qu’il y en avait en 1798 pour qu’elle le reste à la religion, en 1846 à la propriété foncière, en 1961 au sexe. Elle doit être pleinement liée à la résidence cantonale comme elle l’est déjà, partiellement, à la résidence communale. Et comme c’est déjà le cas dans les cantons du Jura et de Neuchâtel. Plus de 200 professeur·es, chercheur·euses, médecins et artistes genevois·es2>Liste des signataires disponible sur:  mailchi.mp/sit-syndicat.ch/appel-des-200?e=a67f0bcb62 ont donc signé un appel en faveur de l’octroi à Genève des droits politiques cantonaux aux résident·es étranger·ères.

L’an prochain, en Ville de Genève, une majorité de la population aura le droit d’élire le Conseil municipal et le Conseil administratif, parce que les étrangers en ont le droit. L’an dernier, dans le canton de Genève, seule une minorité de la population a eu le droit d’élire le Grand Conseil et le Conseil d’Etat, parce que seuls des Suisses et des Suissesses en ont le droit. De la commune et du canton, quel espace politique repose à Genève sur l’assise démocratique la plus large, et quel·les élu·es sur la légitimité démocratique la plus grande? Celui où la majorité de la population dispose du droit de vote et d’élection, ou celui où la majorité de la population en est privée?
Dis Tonton, c’est encore loin, la démocratie? – Tais-toi et vote. Si tu peux.

Notes[+]

Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L’IMPOLIGRAPHE

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lundi 8 janvier 2018

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