Le monde a-t-il basculé?
Refus de condamner l’invasion russe en Ukraine, dénonciation de la guerre menée par Israël à Gaza, rejet du contrôle occidental sur les institutions financières internationales… Quelque chose est en train de changer dans les rapports de forces planétaires. Si Washington et ses alliés demeurent capables d’imposer leurs préférences au reste du monde, c’est désormais au prix de passages en force coûteux en termes d’image. Alors que le vernis de la supériorité morale occidentale craquelle, la réalité de l’«ordre international fondé sur des règles» transparaît de façon crue: un rapport de domination dont la consolidation requiert chaque jour un peu plus de brutalité.
C’est dans ce contexte que semble avoir émergé un «Sud» que certains disent «global». Une seconde moitié du monde désormais soucieuse de faire entendre une voix distincte. Mais qu’est-ce que le Sud? Quel projet porte-t-il? Et au nom de qui s’exprime-t-il? Cette nouvelle livraison de Manière de voir1>«Le Sud existe-t-il?», Manière de voir, n° 195, juin-juillet 2024, bimestriel édité par Le Monde diplomatique. répond à l’ensemble de ces questions.
D’abord en rappelant que, né dans la géographie, le terme Sud a été trempé au feu des luttes de libération nationale, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, quand apparaît ce que le démographe Alfred Sauvy qualifiera de tiers-monde en 1950: un ensemble de pays, dont la plupart viennent d’accéder à l’indépendance, qui revendiquent la construction d’un ordre mondial leur permettant de s’émanciper réellement. C’est-à-dire y compris sur le plan économique. Ce Sud politique, c’est celui d’Ernesto «Che» Guevara, d’Ahmed Ben Bella ou encore de Mao Zedong, tous issus de pays pourtant situés dans la moitié supérieure des planisphères.
Le deuxième chapitre de la publication documente sa réémergence après son écrasement par la contre-révolution néolibérale des années 1970. Un Sud non plus uni par un projet commun, mais par une même contestation du Nord. Manière de voir revient ici sur l’indocilité qui monte au sein des pays qui, bien que réputés faibles, acceptent de moins en moins la suprématie des puissants, qu’il s’agisse des conflits guerriers en cours, des votes dans les institutions financières, ou du rôle du dollar.
Le dernier chapitre dessine les limites de l’enchevêtrement d’alliances à géométrie variable qui constitue le Sud «moderne». Quels points communs, en effet, entre les projets portés par l’Inde ultraconservatrice de M. Narendra Modi et la Colombie progressiste de M. Gustavo Petro? Quel avenir dessiner ensemble lorsque chacun semble avant tout chercher à se faire une place dans un monde dont il ne s’agit plus de modifier le fonctionnement?
Notes