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Croisée de l’Europe

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Dans sa dernière livraison, la revue La Pensée dresse quelques enjeux des prochaines échéances européennes. Sous le titre «Turbulences européennes», ce 417e numéro revient en effet sur les défis politiques, géopolitiques et économiques qui attendent le Vieux Continent. Reprenons ces différents aspects – histoire de saisir mieux les caractéristiques de ce qui s’apparente à une croisée des chemins.

Les élections de 2024 pourraient d’abord voir la poussée de l’extrême droite observée dans maints pays (Italie, Hongrie, Slovaquie, Finlande, Pays-Bas, etc.) se confirmer à l’échelle continentale. Nourri par les sujets des migrations, du déclassement social, du haut prix de l’énergie ou du climato-scepticisme, cet élan devrait profiter prioritairement au groupe des parlementaires conservateurs et réformistes européens (CRE) – groupe qui organise l’inquiétant «compromis historique» entre les partis d’extrême droite et les formations conservatrices «radicalisées».

Sur le plan géopolitique, ensuite, se jouent les espoirs d’une autonomie diplomatique et militaire de l’Europe. Une espérance considérablement affectée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine et, partant, le réalignement de l’Union européenne sur l’OTAN. Encouragée par Joe Biden – soucieux de préserver l’unité occidentale dans sa croisade contre la Chine –, cette vassalisation est également favorisée par les gouvernements des pays d’Europe de l’Est. De fait, la motivation de nombre d’entre eux – au moment de rejoindre l’Union – tenait bien davantage à la perspective de jouir du parapluie sécuritaire américain qu’au strict investissement des institutions européennes.

Au plan économique enfin, l’autonomie fait aussi débat. La période marque indéniablement le retour de l’interventionnisme public en matière industrielle. Devant la «fracturation de la mondialisation» (Alexis Coskun, docteur en droit européen), face à une concurrence internationale accrue, la foi dans le libre-échangisme, la fétichisation des règles budgétaires comme le veto posé sur les aides étatiques ne tiennent plus.

La construction d’un marché continental n’a pas permis l’émergence de groupes susceptibles de rivaliser avec les firmes multinationales – d’où l’«arsenalisation» (Coskun) actuelle des relations économiques internationales. Cet interventionnisme néolibéral voit l’argent public sommé de pallier la baisse relative de la rentabilité du capital et prendre en charge des investissements coûteux et risqués dans les technologies de pointe.

On notera que ce virage stratégique corrige pareillement l’échec d’une spécialisation dans les secteurs à haute valeur ajoutée: la destruction massive d’emplois industriels occasionnée par la délocalisation des capacités productives n’a pas été compensée par le développement des secteurs présumés les plus pointus et rémunérateurs.

L’«arsenalisation» – plus haut évoquée – est particulièrement évidente dans la compétition autour des ressources rares. Contributrice à ce numéro de La Pensée, la responsable Europe du PCF – Charlotte Balavoine1>A noter que Charlotte Balavoine interviendra aux côtés de Gabriel Galice, président de l’Institut international de recherches sur la paix à Genève (GIPRI), le 30 mai prochain à 20h au Centre Martin Luther King d’Annemasse, précisément sur le sujet des Européennes. –remarque que cette bataille est non seulement «au cœur» mais également «symptomatique» d’une politique étrangère visant la guerre commerciale avec les puissances émergentes, cherchant à «sanctuariser» la position de l’Occident comme puissance dominatrice.

Terre riche en matériaux stratégiques et rares, l’Afrique est ainsi l’objet de toutes les convoitises. L’actuelle exploitation de ses ressources bénéficie à quelques pays et firmes transnationales et alimente un commerce illégal qui finance des groupes armés et déstabilise des régions entières.

Pour faire contrepoids aux investissements massifs de Pékin sur le continent africain – lesquels permettent à la Chine de truster les marchés des énergies renouvelables et de la mobilité électrique –, l’Europe penche là encore vers l’Ouest. Témoignant de cette inclination, le partenariat transatlantique de 2021 menace cependant de se retourner contre l’Union – les Etats-Unis privilégiant une politique de réindustrialisation protectionniste et les pays «du Sud» établissant entre eux de nouvelles formes de coopération économique et politique (BRICS, Groupe des 77, etc.).

Dans ces conditions, une alternative européenne est-elle envisageable? Force est de reconnaître que la gauche se porte mal – hormis du côté du Sinn Féin en Irlande, du Parti du travail de Belgique et du Parti communiste d’Autriche. Pourtant, face au regain des nationalismes, à la crise écologique, au néolibéralisme et au néocolonialisme, les forces de progrès se doivent de renouer avec une perspective transformatrice et la centralité de la lutte des classes. Cette dernière peut contribuer à unifier et politiser les travailleuses et travailleurs et permettre d’éviter de s’enferrer dans des revendications sectorielles ou identitaires.

La gauche doit avoir pour projet d’en finir avec un«prisme étroitement occidental» (Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen), d’en finir avec la fuite en avant capitalistique et de planifier un développement mutuel juste, social, écologique, culturel avec les pays «du Sud». Le découplage transatlantique semble la condition première d’une voix européenne en faveur du multilatéralisme.

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Mathieu Menghini est historien et théoricien de l’action culturelle (mathieu.menghini@sunrise.ch)

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lundi 8 janvier 2018

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