Négociations avec l’UE: des droits pour combattre loyers abusifs et sous-enchère
L’initiative de l’UDC «Pas de Suisse à 10 millions!» a abouti. Elle prévoit de renégocier ou dénoncer des accords internationaux si la population dépasse les 10 millions d’habitant·es en 2050. Les conventions visées sont celles qui assurent en particulier le droit d’asile, les droits des enfants et la libre-circulation des personnes avec l’Union européenne (UE).
L’UDC, les employeurs et les bailleurs dont elle sert les intérêts cherchent à tenir la question sociale éloignée du débat politique. L’initiative en question nie la responsabilité de ces derniers dans la dégradation des conditions de vie d’une partie de la population. Cette initiative est un pare-feu.
L’UDC est le fer de lance des milieux immobiliers contre le droit du bail. Elle combat aussi la politique en faveur du climat: elle appelle à refuser le 9 juin la loi sur l’approvisionnement en électricité. En miroir inversé, elle présente son initiative comme la solution pour protéger l’environnement et les locataires.
L’UDC veut gommer les antagonismes de classes sociales qu’elle cherche à remplacer par l’image d’Epinal d’une communauté homogène, dont l’espace vital serait menacé par des hordes étrangères inintégrables par nature (irrespectueuses, violentes, etc.), par culture (wokisme) ou par religion (islam). Ici, elle invoque des motifs environnementaux et de qualité de vie. Selon cette initiative, les loyers abusifs et les salaires trop bas ne sont pas la conséquence des choix des bailleurs et des actionnaires, ils sont causés par les migrant·es. L’UDC rejoue sa logique de l’abus ou de la «barque déjà pleine» (Überfremdung).
Ces initiatives sont gagnantes pour la frange du patronat que représente l’UDC. Elles créent des sans-papiers et des travailleur·euses précaires – soit une main-d’œuvre exploitable et une mise sous pression pour les autres salarié·es. Le soutien plus ou moins assumé des autres partis de droite et de certains grands médias légitime ce discours: l’UDC se renforce et dicte sa politique de casse sociale.
Le débat sur les négociations avec l’UE offre une perspective pour sortir de l’ornière.
Le rapport de force actuel au Parlement ne permet pas de maintenir de statu quo pour les droits des locataires et des salarié·es. Gagner de nouveaux droits et répondre aux besoins de la population nécessite des leviers politiques pour obtenir un rapport de force suffisant. Une partie du patronat et des milieux économiques pâtirait de l’acceptation de l’initiative de l’UDC – il y a peu, la NZZ publiait un article indiquant que la Suisse (respectivement les employeurs) a besoin de 10 millions d’habitant·es pour pallier la pénurie de main-d’œuvre. Et l’accès au marché unique de l’UE est un besoin tout aussi vital pour les entreprises d’exportation.
Créer un rapport de force avec l’initiative de l’UDC n’est pas envisageable. Elle foule aux pieds les principes de solidarité et d’humanité – comme le droit pour un enfant de vivre auprès de ses parents. Rien de tel en revanche concernant les négociations avec l’UE. Si leurs résultats correspondaient aux objectifs du Conseil fédéral, combattre ces accords serait même une nécessité. Car le mandat de négociation ne prévoit aucune amélioration de la protection des salaires et des conditions de travail. Il vise à libéraliser le marché de l’électricité.
La libéralisation doit être combattue pour elle-même. La libre-circulation des personnes est en revanche un droit à défendre, pour autant qu’il soit flanqué de droits sociaux. Le Conseil fédéral et la majorité parlementaire cherchent à découpler les négociations des mesures d’accompagnement.
Or, une fois les accords acceptés, les syndicats et l’Asloca n’auront plus qu’à prier pour contraindre la majorité à tenir ses promesses. Il en ira comme il en est allé avec AVS 21. La majorité a promis d’améliorer la situation des salariées, mais elle a voté LPP 21 qui forcera les travailleuses à faible revenu à cotiser beaucoup plus pour toucher moins, ou à peine plus.
Les locataires et les salarié·es doivent s’unir pour imposer sans attendre leurs revendications. Pour les salarié·es, il s’agit de combattre le travail précaire. Ce moment est l’occasion pour enfin concrétiser les recommandations de l’Organisation internationale du travail pour garantir la liberté syndicale. L’OIT demande à la Suisse de prévoir la réintégration de délégué·es syndicale·aux injustement licencié·es. Pour les locataires, il faut obtenir que les nouveaux logements répondent au besoin de la majorité des habitant·es, interdire la spéculation dans le parc immobilier existant, renforcer le droit du bail et empêcher que des loyers bon marché deviennent abusifs et que des loyers abusifs le restent.
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime dans cette chronique à titre personnel.