«Je ne vous entends pas!»
En février dernier, l’actrice Judith Godrèche a accusé le réalisateur Benoît Jacquot et le cinéaste Jacques Doillon d’agression sexuelle, de viol, et a porté plainte. Les faits qu’elle a évoqués remontent au tournage de La fille de 15 ans, sorti en 1989, et tourné alors que Judith Godrèche avait 15 ans et était en couple avec Benoît Jacquot.
Elle a relaté une scène d’intimité tournée avec Jacques Doillon, en présence de Jane Birkin, qui était alors la compagne du réalisateur. «Tout d’un coup, il décide qu’il y a une scène d’amour, une scène de sexe entre lui et moi», a-t-elle raconté. Il fait reprendre la scène de nombreuses fois… Judith Godrèche et Benoît Jacquot, de vingt-cinq ans son aîné, ont entamé une relation au printemps 1986, alors qu’elle avait tout juste 14 ans et faisait ses premiers pas dans le cinéma. Ils ont vécu ouvertement ensemble jusqu’à leur séparation en 1992.
Une dénonciation de plus. Et une fois de plus, les accusés nient… Depuis que Judith Godrèche a parlé, le journal Le Monde a publié de nouveaux témoignages sur le comportement de Benoît Jacquot, dénonçant «des violences verbales, psychologiques et physiques».
Depuis l’affaire Weinstein, en 2017, qui a conduit à #MeToo, les révélations de violences sexuelles et de viols pleuvent dans le monde du cinéma, mais aussi de la politique, des médias, des sports, partout où des hommes détiennent le pouvoir et en abusent. Parmi eux des personnalités connues, comme Dominique Strauss-Kahn, Patrick Poivre d’Arvor, Gérard Depardieu, pour ne prendre que trois exemples.
Ces affaires révèlent un système, En effet, chaque fois, l’entourage des prédateurs est au courant. Les proches de DSK l’avaient averti que l’Amérique n’est pas la France (!) et qu’il devait modifier son comportement. Quand éclate l’affaire du Sofitel de New York avec Nafissatou Diallo, les mêmes jouent les étonnés, minimisent: «Il n’y a pas mort d’homme», dit Jack Lang; il ne s’agit que d’«un troussage de domestique», selon Jean-François Kahn. Exemples révélateurs du mépris de la société envers les femmes.
Tout le monde savait que PPDA avait un bureau fermé où se faisaient piéger les femmes qu’il invitait, mais personne ne disait rien. Sur les tournages, tout le monde voyait Gérard Depardieu glisser sa main dans le slip de jeunes actrices, mais personne ne réagissait. Notamment parce que son salaire était si élevé qu’intervenir aurait mis le film en faillite.
Partout, l’entourage est au courant. Mais tout se passe comme si ces comportements envers les femmes étaient «normaux», voire «naturels». Dans ce milieu, on sacrifie des jeunes filles aux caprices de prédateurs. Comme est livrée la chevrette de Jurassic Parc au raptor. Nous vivons dans un monde fait par les hommes pour les hommes, où les femmes sont opprimées, voilées, excisées, enfermées, déscolarisées, muselées, moquées, discriminées, harcelées, emprisonnées, assassinées, invisibilisées…
Lors de la 49e cérémonie des César, le 24 février dernier, Judith Godrèche a dit: «Ça fait maintenant trente ans que le silence est mon moteur. On ne peut pas être à un tel niveau d’impunité, de déni et de privilège qui fait que la morale nous passe par-dessus la tête. Nous devons donner l’exemple. Mon passé, c’est aussi le présent des 2000 personnes qui m’ont envoyé leur témoignage en quatre jours… C’est aussi l’avenir de tous ceux qui n’ont pas encore eu la force de devenir leur propre témoin. Ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas. Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous? Que dites-vous?»
Je me réjouis d’entendre les hommes non prédateurs dire haut et fort que ces comportements ne sont plus de mise au XXIe siècle, dans un monde qui prône l’égalité.
Huguette Junod est écrivaine, de Perly (GE).