Défendre le droit à un environnement sain
La loi fédérale sur la protection de l’environnement est en révision. Elle est issue de mobilisations qui ont permis l’adoption en votation populaire (1971) d’un article constitutionnel1>Office fédéral de l’environnement, «Le droit de l’environnement en bref», 2022. qui donne une base juridique au droit de l’environnement. Cette loi fixe des limites d’immissions autour des infrastructures polluantes et bruyantes. Elle prévoit l’obligation de prendre des mesures pour réduire ces immissions comme la limitation de la vitesse de circulation, l’installation de revêtements phonoabsorbants pour les routes. Elle protège les riverains et les riveraines en obligeant la pose de parois antibruit par exemple. Les nuisances des axes routiers, ferroviaires et des aéroports ont un impact sur la nature et sur la santé de la population2>Concernant le concept de santé, Bodenmann, Jackson, Vu, Wolff, Vulnérabilités, diversités et équités en santé, 2022, p. 197ss.. Le bruit peut dégrader le sommeil, détériorer les capacités cognitives voire entraîner des troubles cardiovasculaires3>F. Krajcarz, «Les risques liés à l’exposition au bruit», in Les risques du travail, La Découverte, p. 358..
Le trafic aérien à Genève est conséquent avec presque 16,5 millions de voyageurs en 2023 (172 841 atterrissages et décollages). En parallèle, les communes voisines de l’aéroport, les plus touchées par le bruit et la pollution, se développent. Le bruit de l’aéroport atteint 60 décibels en moyenne entre 6 heures et 22 heures4>Office fédéral de l’aviation civile, «Aéroport de Genève, cadastre de bruit», mai 2009. dans la cité de Meyrin et dans celle des Avanchets (Vernier).
La majorité parlementaire au Conseil national a pourtant décidé d’affaiblir la protection des riverain·es en adoptant une proposition de Simone de Montmollin (PLR/GE). Ce texte aidera les promoteurs à obtenir des autorisations de construire à proximité de l’aéroport. Cet amendement permettrait de construire des immeubles dans des lieux aujourd’hui considérés comme trop bruyants. En contrepartie, l’isolation des bâtiments devrait être améliorée. Le compte n’y est cependant pas. La proposition de Mme de Montmollin fait fi de la réalité: on ne vit pas uniquement dans son logement, mais dans un quartier. C’est particulièrement vrai dans les quartiers populaires où le taux d’occupation des logements est élevé. Faute d’appartements suffisamment grands, la vie sociale se fait pour bonne part à l’extérieur, en particulier pour les enfants, qui seront dès lors soumis à une pollution atmosphérique et sonore accrue.
La majorité parlementaire veut tirer prétexte de la pénurie de logements pour réaliser des opérations de promotion immobilière au détriment de la santé des futurs habitants et habitantes. Les placements dans ce domaine sont parmi les plus sûrs et les plus rentables. Les bailleurs de fonds se bousculent à la porte. Pour la construction du quartier de l’Etang à Vernier, Claude Berda a mobilisé 1,2 milliard de francs. Il ne s’agit pas uniquement de logements (870) mais aussi et surtout de bureaux (2500), de centres commerciaux et d’hôtels. La proximité immédiate de l’autoroute, du chemin de fer et de l’aéroport sont des nuisances pour les habitant·es mais des atouts pour le commercial. Ce quartier est également emblématique par sa densité (2,43), équivalente à celle du centre-ville de Genève – qui en revanche offre aux habitant·es des espaces de qualité (lac, grands parcs).
La proposition de Mme de Montmollin a valeur de symbole de l’organisation du territoire par classes sociales. Les salarié·es des classes populaires et moyennes doivent vivre à côté de l’autoroute et de l’aéroport, tandis que les grandes fortunes échappent à ces nuisances auxquelles elles participent beaucoup en utilisant massivement ces infrastructures. Pour pousser un peu plus loin le constat, les grandes fortunes ne participent par ailleurs que très modestement – en proportion de leurs capacités financières – au besoin de financement des soins, puisque les primes d’assurance-maladie sont payées par tête. Les inégalités sociales s’inscrivent en effet dans une logique de système: «En définitive, la pauvreté ne se limite pas au défaut d’avoir (expropriation des moyens de production et de consommation, revenus insuffisants ou irréguliers, absence de réserve et de patrimoine). C’est aussi, et peut-être plus fondamentalement, le défaut de pouvoir: absence de maîtrise sur les conditions matérielles et institutionnelles de sa situation […]»5>A. Bihr, R. Pfefferkorn, Le système des inégalités, 2021, p. 66..
Le débat sur la proposition de Mme de Montmollin n’est pas encore clos. Le Parlement poursuit ses travaux et le référendum a été annoncé. Il faut préparer cette échéance pour maintenir la loi sur la protection de l’environnement qui est un acquis social fondamental.
Notes
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.