Arme secrète

Qui n’a jamais rêvé d’être invisible? Marina Salzmann en explore les possibilités, entre actions audacieuses et conséquences moins magiques.
Arme secrète
Avec une cape d’invisibilité, «je m’exercerais d’abord un peu dans la nature, tout près des biches, des oiseaux, des loups». KEYSTONE
Récit 

Un jour, je suis tombée sur un article qui saluait l’invention d’une matière textile inspirée de l’étude de certains papillons: en vol, leurs ailes ont la couleur du ciel mais lorsque ces morphos bleus se posent et les referment, elles reflètent les teintes de la terre.

Le nouveau tissu, affirmait le journaliste, permet à la personne qui s’en revêt de se fondre dans ce qui l’entoure grâce au chatoiement de milliers d’écailles iridescentes.

Est-ce que le rêve de devenir invisible comme le berger Gygès ou le jeune Harry Potter allait devenir réalité? J’ai toujours envié leurs accessoires ensorcelés.

Et si j’écris, n’est-ce pas pour combler un désir de voyager cachée dans les plus folles éventualités?
Il est certain qu’aujourd’hui, une cape d’invisibilité rendrait possible de salutaires actions d’éclat.

Je flotterais transparente vers l’un ou l’autre de ces êtres bouffis

Si j’en possédais une, je m’exercerais d’abord un peu dans la nature, tout près des biches, des oiseaux, des loups. Puis, ayant pris de la bouteille, j’entrerais dans de jolies villas, des chambres d’hôtel miteuses. Indétectable, je ferais des farces fantastiques… Ah! Voir à son réveil la tête de la vieille SDF qui découvre à son doigt une émeraude grosse comme un galet. Sur ce, de plus en plus sûre de moi, je me glisserais dans un avion pour Jérusalem ou Moscou. Aucun contrôle de sécurité ne résiste à une personne qui a l’apparence et la consistance d’un courant d’air. Ainsi après un voyage incognito en classe business, je pénétrerais au siège du gouvernement, dans les salons les plus secrets, les bureaux les mieux blindés. Il ne faut pas hésiter à agir quand on a reçu un don tel que le mien. Je flotterais transparente vers l’un ou l’autre de ces êtres bouffis qui attendent leur dîner dans un bunker transformé en salle à manger. Ils font d’abord goûter leurs plats à un animal ou un meurtrier, puis les absorbent et les digèrent, c’est un des signes de leur appartenance à notre espèce.

Mais il n’est pas interdit de rêver d’un monde meilleur: je n’aurais pas tremblé en décochant ma flèche au curare ou en secouant ma fiole d’arsenic au-dessus du saladier.

On croit souvent que ce qui est ne peut être que tel qu’il apparaît.

Pourtant des retournements sont toujours possibles.

Ainsi hier matin, j’ai senti dans mon dos, sur ma jolie coupe de cheveux, le regard insistant d’un passant. Il a continué à me fixer en me doublant par la gauche. Mais au moment où nos yeux allaient se rencontrer, son regard s’est subitement éteint. Il a traversé mon visage vieilli comme si j’étais faite du verre le plus limpide. J’ai compris soudain que j’avais réussi, j’étais invisible!

Le croirez-vous? Au lieu de me réjouir, au lieu de foncer vers ma première mission, je me suis engouffrée dans une pharmacie pour un conseil personnalisé.

Et ce matin devant le miroir, je dévisse le bouchon du pot de crème neuf, j’en étale un peu du bout des doigts. Ça comble, ça repulpe, m’a-t-on promis. Ça lisse les empreintes d’oiseau sur les paupières. La crème s’appelle quelque chose comme jour de rêve. Elle est rose. Elle sent le sparadrap.

Rencontre avec Marina Salzmann di 10 mars à 16h à la Scène suisse. www.salondulivre.ch
Dernier titre paru: fresco stasera, poèmes (Ed. Campiche, 2024).

Marina Salzmann Récit 

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