Sur la trace du religieux dans les solidarités locales
Parler de solidarité, c’est désigner les multiples formes de liens sociaux qui traversent nos vies quotidiennes, et donc nos villes. Certes, l’expérience urbaine se caractérise aussi par ce que la sociologie a désigné comme «indifférence civile» – c’est-à-dire une façon polie de s’ignorer et de se laisser mutuellement en paix. Mais en deçà de cette indifférence apparente, la ville est tressée de liens, d’expériences communes, toute une trame collective que tissent les mille facettes de nos vies quotidiennes. Penser la vie collective c’est prêter attention aux liens et relations qui la dessinent. Or ces liens sont faits d’expériences personnelles, de rencontres fortuites, d’éléments intangibles, mais se nourrissent aussi de groupes constitués, de convictions partagées ou d’appartenances tissées de longue date et dans certains lieux spécifiques.
Comprendre ces liens, leurs lieux, leurs contextes, leurs conditions doit permettre de construire une vie collective enthousiasmante et juste. C’est de cette hypothèse que démarre le projet de recherche participative que mène le Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) depuis le début de l’année. De cette hypothèse, ainsi que du constat que parfois, les différents contextes, lieux et groupes où se construisent les liens sociaux tendent à ne pas se mêler, voire à s’exclure. Au nombre de ces contextes, les communautés religieuses jouent très certainement un rôle important: les lieux de culte sont de véritables lieux de vie où prennent place des échanges qui ne se limitent pas qu’aux pratiques religieuses, mais aussi à des interactions multiples et polymorphes, échanges, cours, partages, distribution de colis alimentaires, rassemblements, fêtes. Ainsi le religieux peut sous certaines conditions contribuer à fabriquer du lien social.
De cette idée est né le projet ReligioCités, qui vise autant à comprendre les conditions de production de cette solidarité à une échelle locale qu’à nourrir des échanges quant aux expériences et initiatives qui les alimentent. Afin de remplir cette double fonction, ce projet est pensé en deux temps: un premier moment d’enquête sociologique, d’observations et d’entretiens relatifs aux initiatives existantes, aux expériences à l’échelle de trois secteurs de la Ville de Genève, mené par l’équipe du CIC et un atelier d’étudiant·es de la Haute école de travail social de Genève; et un second moment d’échanges publics dans le cadre de «forums». En nous inspirant des méthodes du pédagogue brésilien (ayant séjourné à Genève) Paolo Freire, ces forums publics ont pour but d’ouvrir des espaces de délibération et d’échange, de prendre connaissance de projets nourrissant, à l’échelle des différents quartiers, des liens collectifs. Si l’idée est de connaître le contenu de projets solidaires dans ces différents quartiers, et le rôle aussi qu’y joue le religieux, la forme même du forum est en elle-même une finalité. En effet, se rassembler pour échanger, délibérer, imaginer et fomenter des futurs possibles est déjà un résultat du projet. Se rassembler c’est déjà, en tant que tel, construire de la solidarité.
A ce jour, cette recherche montre la multitude d’initiatives dans les différents quartiers, et parfois les liens potentiels qui pourraient être tissés entre elles, les potentiels de diffusion et d’échanges. Ainsi, ce projet offre l’occasion de comprendre mieux la vie urbaine. Si son hétérogénéité constitutive est ici au centre de nos préoccupations, nous voyons comment celle-ci est un vivier d’expériences et de manifestation d’un désir de liens sociaux plus riche que nous ne le pensions. Rendre compte de cette densité d’expérience vise ainsi à nourrir les possibles d’une vie en commun à l’échelle des différents quartiers.
En sélectionnant différents secteurs de recherche en Ville de Genève, nous avons pris en compte les indicateurs sociaux de précarité qui les caractérise, leurs formes urbanistiques et la diversité religieuse qui s’y manifeste. Nous avons aussi pris le parti de regrouper des quartiers, en vue de ne pas nous borner aux frontières officielles administratives ou statistiques, mais bien de susciter un dialogue plus large, croisant des enjeux et réalités diverses, dessinant ce qu’il peut y avoir à la fois de commun et de différent entre quartiers adjacents.
Nous avons donc réuni et exploré les quartiers des Eaux-Vives et de Champel, ceux de la Servette et du Petit-Saconnex, ainsi que ceux des Pâquis et de Sécheron, dont nous invitons les habitant·es, mais aussi la multitude de personnes intervenant, animant, fréquentant ou aimant tel ou tel quartier à prendre part aux différents forums publics. Le premier et prochain forum, qui regroupe les quartiers de Champel et des Eaux-Vives, aura lieu le 14 mars1>Forum Eaux-vives-Champel: je. 14 mars, 18h -21h, Espace de quartier des Eaux-Vives, 46 rue de Montchoisy. Suivront les forums Servette-Petit-Saconnex (2 mai) et Pâquis-Sécheron (6 juin). Informations:www.cic-info.ch. Animé par la journaliste et autrice Natacha de Santignac, il sera introduit par une allocution de Nicolas Roguet, délégué à l’intégration du Bureau cantonal de l’intégration et de la citoyenneté. En ouvrant la discussion sur le thème «Quartiers solidaires: quelles initiatives pour quelle vie de quartier?», nous échangerons sur des expériences existantes nourrissant les liens sociaux et les expériences collectives, présentations qui seront suivi d’un moment d’échanges d’expérience en vue de continuer à ouvrir des possibles solidaires, de creuser des brèches dans le réel et de construire ensemble un futur collectif.
Notes
Mischa Piraud est ociologue, coresponsable scientifique avec Manéli Farahmand du projet ReligioCités du CIC mené avec Juliette Salzmann et Serjara Aleman.