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La génétique du n’importe quoi…

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Une collègue estimée m’envoie, pour avis, un ouvrage1>Raphaël Gaillard, Un coup de hache dans la tête, éd Grasset, 2022. qui parle, entre autres, de génétique. L’auteur dirige le Centre hospitalier parisien Sainte-Anne et écrit sur la schizophrénie, les patients bipolaires et… la créativité! Il estime montrer, à partir de la littérature scientifique, comment des contextes génétiques proches pourraient conduire soit à l’asile, soit au génie créatif dont nous, sapiens, aurions l’exclusivité parmi les autres vivants. Le livre se lit bien et l’auteur parle avec aisance des psychoses mentionnées, raconte des cas intéressants, malgré son choix d’exemples pris dans l’élite mondaine. Mais un tel grand administrateur n’a sans doute plus beaucoup de temps pour consulter… Il règle un juste compte à la légende qui voudrait que le génie accompagne la folie en montrant combien de tels patients sont, sauf rares exceptions, bien trop handicapés par leurs pathologies pour produire une œuvre significative.

Reste l’argumentation génétique, prise dans une littérature basée sur des études d’associations de caractères quelconques (compétences, maladies…) à des facteurs génétiques recherchés sur toute l’étendue du génome (en jargon anglo «GWAS studies»2>Pour Genome Wide Association Studies.). Ces études à la mode exploitent les résultats des investissements ruineux qui ont été faits pour produire de nombreuses séquences d’ADN. Pour justifier le séquençage de milliers, parfois de dizaines de milliers d’humains, comme en Islande, on prétend résoudre ainsi des mystères jadis insolubles de la génétique. En particulier ceux qui concernent l’hérédité des caractères «quantitatifs», variant sur une échelle continue, en plus ou moins, comme les dimensions du corps, et non simplement en termes de présence ou absence. On cherche alors des associations entre le caractère mesuré et des milliers, parfois des centaines de milliers de «marqueurs» génétiques connus. On en trouve toujours! Mais ce sont en général des associations très faibles et toujours du type «corrélations».

L’une des grandes lois des probabilités est qu’une corrélation ne prouve jamais une causalité, car les associations statistiques peuvent venir du hasard ou de facteurs extérieurs, communs au caractère étudié et à des marqueurs testés. On n’a donc pas le droit d’affirmer que des marqueurs associés à la schizophrénie ou à la bipolarité sont des causes génétiques de ces pathologies. Quant à la créativité, que l’auteur peine à définir par sa culture classique, il suffira de savoir que l’étude islandaise citée dans son livre la «mesurait» par la profession des sujets (sic!) pour se rendre compte que l’hyper-technique génétique peut cacher le plus grand n’importe quoi! Bien sûr, ce ne sont pas les ouvriers et les paysans qui se font attribuer des créativités en flèche, ni les universitaires ou les ingénieurs qui sont considérés comme des conformistes bornés… Une fois de plus, les GWAS permettent d’écrire du non-sens dans de «prestigieuses revues internationales», toujours anglo-saxonnes et imbibées du préjugé héréditariste déjà dénoncé ici.

L’auteur, consciencieux mais pas très à l’aise avec la génétique, est sans doute de bonne foi en faisant confiance à des études très sophistiquées, éloignées de son quotidien, qui affirment des énormités avec un aplomb fantastique. Et puis, après tout, sans parler de génétique, ni de GWAS, il est légitime de penser que, pour être créatif, il faut sortir des autoroutes de la culture et du poids permanent des traditions. Et que celle ou celui qui innove en osant comme personne, ou bien en sortant des prescriptions et routines locales, se met en danger face à la meute traditionaliste. Ce qui peut être pathogène et très mal vécu, que ce soit par rapport aux autres ou par rapport à lui-même, partagé «à la hache» entre le démon créatif, qui le pousse à sortir du rang, et le sinistre ange gardien culturel, qui l’y maintient! Pas besoin de séquencer de l’ADN pour s’en rendre compte…

Notes[+]

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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