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Souffrances paysannes et sociétales

Selon Paul Sautebin, l’Etat et la société civile doivent reprendre en main la gestion de l’agriculture.
Agriculture

Nos campagnes, vidées par l’histoire de dizaines de millions de paysans et paysannes, se soulèvent aujourd’hui avec de mastodontes tracteurs. Ces machines symbolisent par leur froide présence métallique l’effacement de l’essence humaine. C’est ce que la société industrielle a fait des paysannes et paysans et ce qu’il reste de notre rapport à la nature. Mais ils et elles sont là, «on est là» chantaient les gilets jaunes. Ils et elles démontrent une souffrance qui est aussi celle de la société. Souffrances mentales de ne plus être que cela, banalisés, miniaturisés par des machines à produire toujours plus et plus vite à moindre prix et sans perspective.

Cette crise démontre que nous sommes arrivés au bout du possible. Pourtant, d’ici à 2040, le gouvernement a encore programmé la suppression de la moitié des fermes existantes et d’ouvrir les exploitations agricoles aux capitaux spéculatifs. Cette politique agricole coûte plus de 15 milliards par année pour l’ensemble des caisses publiques du pays. Alors que chaque année des centaines d’exploitations disparaissent, que les rémunérations sont insuffisantes, que l’accès à la terre est un périple, que près de 40% des produits sont gaspillés. A qui profite ce modèle? N’est-ce pas là une des sources du malaise qui s’exprime sur les routes? Cessons ces inepties moralisantes qui font des paysans d’une part, et des consommateurs d’autre part, les responsables de la crise environnementale et agricole. Les causes du mal sont en réalité structurelles.

La crise actuelle se reflète dans une crise plus générale: climatique, alimentaire, environnementale, migratoire, économique, de santé publique. Bien des facteurs qui du nord au sud ont conduit à une insécurité généralisée et à un monde sans promesse pour l’avenir. Le choix des gouvernements de laisser venir des guerres plutôt que de prendre à bras le corps les problèmes du monde démontre aussi la fin d’une époque. Les calculs de l’industrie financiarisée écrasent la démocratie, la raison et le bon sens. Les paysans et paysannes se sont opposés il y a encore une vingtaine d’années à ce modèle trop libéral, hélas sans succès. Aujourd’hui, il est remis sur la place publique, sa résolution en appelle à l’action des citoyen·nes, des organisations paysannes et civiles. Si l’agriculture a des obligations nourricières, de santé publique, de durabilité, de faire lien entre la nature, d’échanges internationaux équitables, de transmission générationnelle et biens d’autres choses encore, alors elle nécessite toutes considérations de la part de la société et de l’Etat. Pour honorer ces tâches, la Confédération est la seule instance qui puisse arbitrer les prix entre producteurs et acheteurs en accord avec les organisations paysannes. Les prix ne doivent plus dépendre de l’import-export et rester ainsi entre les mains du désordre économique. La société doit reprendre la main, c’est la souveraineté sur son agriculture qui est en jeu. Le seul chemin pour sortir de la crise est de prendre en charge sa réorganisation. C’est aussi la base pour mener les luttes contre les néolibéraux qui cherchent à sauvegarder leurs privilèges aux dépens de la société.

Paul Sautebin,
ancien président d’Uniterre,
Sonvilier

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