«Victime encore dans sa tombe d’une oppression systémique»
Lamin Fatty est décédé injustement dans les locaux de la police vaudoise d’une épilepsie. L’affaire, confiée au parquet vaudois, vient d’être classée. L’ordonnance de classement rendue par la procureure Ximena Paola Manriquez a été approuvée par le Ministère public central le 15 novembre 20231>RTS, 11 décembre 2023, http://tinyurl.com/4zcp4sc2.
Lamin est donc mort de manière naturelle, d’après le Ministère public vaudois. Personne n’est à poursuivre. Ce qui revient à dire qu’il aurait pu mourir ailleurs sans l’existence de cette situation. Sa vie n’aura valu que 800 francs: Ces 800 francs sont le montant de l’amende à laquelle la justice militaire avait condamné les gardes-frontières responsables de son arrestation, pour une «inobservation des prescriptions de service par négligence pour avoir déterminé de manière erronée l’identité d’un assujetti2>idem». Car c’est d’eux que tout est parti, jusqu’à son incarcération «arbitraire» et jusqu’à sa mort.
N’eût été cette incarcération, Lamin Fatty, libre de ses mouvements, aurait pu se rendre à l’hôpital et y être pris en charge correctement sans qu’il n’ait pesé sur lui quelque soupçon de culpabilité, sans que les médecins n’aient eu la pression et l’impression de soigner un criminel. Dans les faits cependant, après la délicate opération à la tête que Lamin avait auparavant subie, les médecins auraient dû signifier d’une manière ou d’une autre aux policiers que ce dernier était un grand malade en convalescence.
Au regard des dernières affaires judicaires devant les tribunaux vaudois et suisses en lien avec la problématique du racisme, il se dégage un état d’esprit d’indifférence et de discrimination institutionnelles3>«Racisme structurel: des indices de discriminations dans divers domaines de la vie» (admin.ch). En dépit des protestations et des manifestations, les faits démontrent une surdité s’inscrivant dans une continuité comme dans le paradoxe développé par Donald Goines dans son polar Justice Blanche, Misère Noire4>France Info, Polars d’été, http://tinyurl.com/4mxtmbjv. De même que, malgré les plaintes et les signalements, la récente campagne électorale5>Le Matin, 25 octobre 2023, http://tinyurl.com/2s4p2pu9 et les récentes élections fédérales qui ont suivi ont vu s’exprimer en Suisse un racisme décomplexé devant lequel les instances judiciaires souffrent de cécité.
C’est à travers ces actes significatifs, qui dénotent une certaine impunité et une facilité nocive, que s’attise la recrudescence du phénomène raciste et qu’il est possible d’arguer que nous sommes face à un privilège à produire un discours et des décisions racistes.
Lamin Fatty aurait été blanc, il semble évident que les policiers auraient agi avec minutie, en exécutant scrupuleusement la procédure, mais tel n’était pas le cas6>RTS, Specimen, «Je ne suis pas raciste, mais…», 16 février 2016, http://tinyurl.com/yjxj5hud. Lamin Fatty avait la mauvaise couleur de peau, celle sur laquelle il est si facile de peindre toutes les formes imaginaires d’illégalité possibles dans ce pays7>Idem.. La police n’est d’ailleurs pas exempte de ces préjugés quand elle est censée agir contre les personnes noires8>Le Temps, 21 juin 2020, http://tinyurl.com/38399h2e. Cet état d’esprit raciste est perceptible jusqu’à conduire à des dérives comme celle qu’a subie Lamin Fatty.
Il convient aussi d’ajouter que le stress – qu’a probablement vécu Lamin Fatty lors de son arrestation et de son incarcération dans une pièce exiguë – peut favoriser la crise épileptique pour les personnes souffrant de cette maladie (Kotwas et al., 2017). Dès lors que cette possibilité est ouverte, dire que personne n’est responsable de la mort de Lamin Fatty n’est pas loin d’être une aberration.
Notes
Alain Tito Mabiala est un journaliste et écrivain congolais exilé en Suisse.