Chroniques

Une femme au pays des matheux

Les écrans au prisme du genre

Je ne dirais pas que j’ai compris quoi que ce soit aux maths sur lesquelles travaille Marguerite (Ella Rumpf), la protagoniste du film Le Théorème de Marguerite1>Le Théorème de Marguerite, 2023, un film d’Anna Novion, co-scénarisé avec Mathieu Robin, avec Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin, Julien Frison, Sonia Bonny, Clotilde Courau. d’Anna Novion, mais d’après un «expert» de mon entourage, et d’après le dossier de presse (la conseillère technique est une mathématicienne de haut vol, Ariane Mézard, qui a tenu à ce que toutes les formules écrites soient exactes), le film traite très sérieusement non seulement des maths mais aussi des impasses, obsessions et dépressions diverses que peuvent vivre les brillants esprits qui s’adonnent à ce sport…

Pour autant, la nulle en maths que je suis a été prise par le film, parce que l’actrice qui occupe quasiment tous les plans rend admirablement la concentration extrême et l’absence totale de souci des apparences qui caractérisent celle qui se comporte au début comme un pur esprit non genré, uniquement occupée à résoudre des problèmes mathématiques.

En dernière année de thèse à l’Ecole normale supérieure où elle mange, dort et étudie à l’abri du monde, Marguerite se prépare à présenter son travail devant un aréopage de spécialistes de sa discipline. Seule femme dans un environnement exclusivement masculin, elle ne paraît pas s’apercevoir de son étrangeté et la domination masculine ne se manifeste qu’à travers un sympathique chahut à la cantine, qui tient plus de l’hommage que du harcèlement.

Ce bel édifice va toutefois s’écrouler quand Lucas, un condisciple (Julien Frison), pointe lors de son exposé une erreur qui invalide tout son raisonnement et ses trois années de travail. Effondrée, humiliée et blessée par la réaction de son mentor, le professeur Werner (Jean-Pierre Darroussin), qui lui suggère de recommencer une thèse avec quelqu’un d’autre, elle démissionne et disparaît.

Commence alors une expédition dans le monde «réel», celui des petits boulots dérisoires, des rapports hiérarchiques épouvantables, de la débrouille, mais aussi de la découverte des autres. Marguerite rencontre Noa (Sonia Bonny), une danseuse qui lui propose de partager son appart en échange du loyer. Noa est aussi à l’aise dans son corps que Marguerite ignore le sien. Les bruits de l’orgasme de Noa dans la chambre à côté lui fait prendre conscience qu’elle n’en a jamais éprouvé. Elle accompagne Noa en boîte où elle jette son dévolu sur un garçon qui n’en peut mais. Elle mène l’expérience tambour battant, uniquement à la recherche de son propre plaisir (pour une fois que c’est dans ce sens!).

Elle découvre le mahjong, un jeu d’argent qui correspond parfaitement à ses compétences intellectuelles, et qui lui permet de subvenir à ses besoins, au grand dam de sa mère (Clotilde Courau) qui a découvert atterrée la démission de sa fille et sa nouvelle vie.

Pourtant, Marguerite va bientôt se remettre aux maths et proposer à Lucas de travailler ensemble. Au fur et à mesure que les murs de l’appartement se couvrent de formules mathématiques, Marguerite laisse tomber son quant à soi et ils deviennent amants. Il y aura encore quelques péripéties avant le happy end final où Marguerite va retrouver l’estime de ses pairs et sa place dans le monde des matheux.

Cette histoire d’une jeune intellectuelle qui, à la faveur d’une crise, sort de son cocon institutionnel pour affronter la «vraie vie» a le défaut d’être un peu trop prévisible. On n’est pas loin du feel good movie.

Les personnages masculins sont dessinés de façon nuancée, aussi bien le mentor (entre bienveillance et paternalisme) que le condisciple, partagé entre désir de réussite et intérêt pour Marguerite. Les rôles secondaires féminins sont moins fouillés: la mère, elle-même prof de maths en collège, qui entoure sa fille d’une attention anxieuse; et surtout Noa, la coloc qui devient une amie de Marguerite, que le film n’approfondit pas, comme si elle n’existait que pour permettre à l’héroïne d’accéder à son corps. Le fait qu’il s’agisse d’une actrice racisée qui pratique une danse aussi sensuelle qu’éloignée des normes académiques renforce l’impression d’une instrumentalisation.

On regrette que l’originalité du film soit finalement cantonnée au défi que s’est donné la réalisatrice: comment filmer la recherche en maths, en laissant de côté tous les enjeux sociaux et genrés qui structurent ce ­milieu.

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Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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