Christian Grobet (1941-2023): le lion est mort
C’est une page de l’histoire politique genevoise et même suisse qui se tourne. L’ancien conseiller d’Etat Christian Grobet est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l’âge de 82 ans.
Atteint dans sa santé, il s’était retiré de la vie politique à partir de 2018. Ceci après un parcours long, souvent tumultueux, mais ô combien marquant au bout du lac et à Berne. Le grand combat de Christian Grobet, ce fut la défense des locataires: à l’Asloca, comme avocat ou comme politicien. Avec l’emblématique LDTR (Loi sur les démolitions et transformations des maisons d’habitation), il devint la bête noire des spéculateurs en tout genre. Un dispositif légal qui a permis de maintenir une certaine mixité sociale et du logement d’habitation au centre-ville, alors que la spéculation immobilière faisait rage. Le problème reste d’ailleurs entier, la pression sur le foncier est toujours aussi préoccupante. Le nombre d’initiatives qu’il lança ou participa à lancer est incalculable: pour le logement social, pour des tarifs des transports publics abordable ou encore contre la chasse à Genève. Toujours le souci des petites gens.
Figure de proue du Parti socialiste, il fut conseiller municipal en Ville de Genève à partir de 1967 et élu député au Grand Conseil en 1969. En 1981, il accéda au Conseil d’Etat après une première tentative une année plus tôt où il fut battu dans une élection partielle fomentée par une droite qui craignait son arrivée comme la peste. Sa redoutable maîtrise des dossiers et son endurance faisaient peur.
Pendant douze ans, il présida le Département des travaux publics (DTP). Paradoxe, ce farouche opposant à l’autoroute de contournement dut assumer ce chantier qu’il avait tant combattu. Il le fit avec loyauté. Les Genevois·es lui doivent toute une série d’aménagements sur ce tracé qui réduisent son impact. Une conscience écologique avant l’heure qui se manifesta dans d’autres domaines, comme la création d’un service de l’Etat de sensibilisation des bons gestes. Dans des compétences inattendues aussi, par exemple dans le domaine du génie génétique. Ou encore dans un souci de la préservation du patrimoine bâti si malmené pendant les Trente glorieuses. Moins connu, son discret mais continu engagement pour les droits humains: il servit notamment d’observateur pour le compte de la Ligue suisse des droits de l’homme pour défendre des militants pour la démocratie en Tunisie.
Enfin, saluons en lui un soutien discret mais fidèle du Courrier. A plusieurs moments difficiles de ce journal, il apporta soutien et conseils.
En 1993, une seconde vie politique s’ouvrit à lui. Le Parti socialiste lui refusa – il fallait une majorité qualifiée, il n’obtient qu’une majorité simple – une dérogation pour un quatrième mandat. Ceci sur fond de dérive sociale-libérale du parti à la rose. Il en résulta une crise profonde du PS: Christian Grobet claqua la porte du parti et s’en alla créer l’Alliance de gauche, coalition de diverses forces de la gauche radicale.
Avouons-le: lors de la campagne de 1993, son élection en candidat de rupture nous parut possible. Il était impressionnant de le voir sur les stands de son nouveau parti inlassablement aller à la rencontre des électrices et électeurs. Des personnes du troisième âge posaient leur caddie et traversaient la rue pour lui serrer la main et lui dire «de tenir bon».
Il ne fut pas élu et redevint député. On le vit ferrailler contre la traversée de la rade, projet phare du gouvernement monocolore et dont le refus populaire précipita la chute. Il retourna à Berne au Conseil national où il avait déjà siégé de 1975 à 1982. Ce politicien pourtant si ancré dans son canton fut d’ailleurs un temps candidat sérieux au Conseil fédéral.
En 2005, l’Alliance de gauche implosa, notamment sur des divergences de vision politique. Christian Grobet, sinon malthusien du moins décroissant, adopta une posture que l’on peut qualifier de souverainiste face à une extrême gauche plus internationaliste. Aucun des deux groupes n’atteignit le quorum de 7% de voix nécessaires pour pouvoir siéger. Comme cette année…. Parfois l’histoire bégaie.
Il redevint député en 2013, pour une législature. Déjà atteint dans sa santé, il se fit plus rare. Soyons en gré aux partis de droite: ils respectèrent et ménagèrent l’homme d’Etat. A son départ en 2018 du parlement cantonal, une fête œcuménique fut organisée. Bien des rancœurs s’étaient apaisées…
Il était aussi et surtout le père de notre collègue Erik Grobet, qui œuvre comme polygraphe à la mise en page de ce journal. Il fut aussi l’ex-mari de la députée Mariane Grobet-Wellner, récemment décédée et qui siégea au comité de la Nouvelle association du Courrier. Et il fut le mari de notre consœur de la Tribune de Genève (et amie de ce journal) Laurence Bezaguet. Que toutes et tous trouvent ici l’expression d’une tristesse partagée.