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«Une aide gelée au pire moment»

Fin octobre, onze ONG israéliennes et palestiniennes voyaient leurs aides financières suspendues par la Confédération. Au bout du compte, trois organisations palestiniennes perdent leur financement suisse. Carol Scheller revient sur l’importance du travail effectué par l’ensemble de ces ONG.
Proche-Orient

Où est passée la Suisse qui fut pour l’Europe un exemple d’indépendance d’esprit doublé du sens des responsabilités? Fin octobre, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a décidé de reproduire une décision hâtive de la Commission européenne à Bruxelles en annonçant le gel de ses contributions financières pour onze organisations non gouvernementales israéliennes et palestiniennes, à un moment où leurs sociétés en ont le plus besoin. L’annonce a suscité de vives protestations (lire notre article du 7 novembre). Mais le mal est fait, des noms ternis.1>Les trois ONG palestiniennes exclues du soutien helvétique sont PCHR, PNGO et Al-Shabaka, au motif de «non respect du code de conduite et de la clause anti-discrimination du DFAE» (ATS du 22.11.23), ndlr. Honteusement.

Car ces organisations sont le cordon de sécurité des collectivités israélienne et palestinienne en ce moment critique. Ainsi, le Centre palestinien pour les droits humains (PCHR) de l’avocat et militant Raji Sourani, est un modèle d’impartialité: il dénonce tout abus de pouvoir, tant du côté israélien, cisjordanien que gazaoui, en publiant des rapports documentés.

Certaines de ces organisations ont un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU, comme le Centre arabe pour le progrès des médias sociaux 7amleh, qui vise à informer les Palestinien·nes sur les droits numériques, ou le WCLAC, centre d’aide légale et de conseil pour les femmes fondé par la militante palestinienne Randa Siniora dans le but de protéger les droits des femmes. Leur travail est capital.

Et comment mettre en doute les activités du Miftah, initiative palestinienne pour la promotion du dialogue mondial et de la démocratie, créé par l’intellectuelle féministe et personnalité politique Hanan Ashrawi, ou celles du Centre d’aide juridique et des droits de l’homme de Jérusalem (JLAC), qui soutient les familles palestiniennes expropriées suite à des décisions administratives qui les dépassent? Les avocat·es et bénévoles engagé·es au sein de ces structures contiennent une potentielle violence de société en utilisant des moyens légaux pour redresser des torts. Dans cet esprit, l’ONG Médecins pour les droits humains Israël (PHRI), à Tel Aviv, travaille inlassablement depuis 1988 pour un même droit à la santé pour tous et toutes.

Encore faut-il citer Al Shabaka, groupe de réflexion basé aux Etats-Unis, et Hamoked en Israël, qui informent et assurent la défense légale des Palestinien·nes dans des situations où le droit humanitaire ou le droit international ne sont pas respectés. Hamoked compte une trentaine d’employé·es juif·ves ou arabes reparti·es sur différents sites. L’association Adalah, centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël fondé à Haïfa par l’avocat Hassan Jabareen, a reçu quant à elle un nombre impressionnant de prix. Sans oublier le réseau PNGO [Palestinian NGO network], créé en 1994 à la suite des accords d’Oslo, qui soutient l’établissement d’un Etat palestinien viable. Cette faitière vise à renforcer la société palestinienne en coordonnant les activités de 135 ONG membres. Gisha, enfin, une organisation apolitique soutenue par Israël et divers donateurs, protège et promeut la liberté de déplacement des Palestinien·nes, notamment des Gazaoui·es nécessitant des soins.

La Suisse a décidé de mettre la qualité de ces organisations en question en choisissant le pire des moments pour le faire. Geler son soutien à ces groupes, qui fournissent un travail indispensable et irremplaçable, aura probablement peu de conséquences pour leurs activités. Ils ont tous une réputation solide, acquise pendant des décennies de travail dans des circonstances difficiles. Mais la réputation de la Suisse, pays ayant adopté des lignes directrices concernant la protection des défenseurs des droits humains et signataire de la Déclaration du Conseil de l’Europe en la matière, va souffrir. Selon ces accords, elle a l’obligation de soutenir les défenseurs des droits humains lorsqu’ils sont menacés. Qu’elle s’en moque montre de l’incohérence et, surtout, un manque de courage politique.

Notes[+]

Carol Scheller vit à Chêne-Bougeries (GE), elle est traductrice en anglais du guide de voyage Palestine & Palestiniens, publié par le Groupe de tourisme alternatif, à Beit Sahour, Palestine.

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