Le Conseil national poursuit ses attaques
Il y a dix jours, la commission des affaires juridiques du Conseil national a décidé d’aller de l’avant avec le deuxième train de mesures destiné à liquider la protection contre les loyers abusifs.
Il s’agit de deux textes de Hans Egloff, ancien conseiller national UDC zurichois, pour supprimer la contestation du loyer initial, hormis cas exceptionnels, et faciliter la démonstration de «l’usage dans le quartier». Ce critère est une faille dans le droit, que les bailleurs veulent élargir en imposant aux juges leurs statistiques «maison» et établissant l’usage sur trois exemples uniquement. Le bailleur n’aurait aucune difficulté à piquer ça et là trois exemples parmi les loyers les plus chers. Autre effet de cette modification: faciliter les congés dits «économiques».
La majorité probailleurs à l’Assemblée fédérale complète le travail du Tribunal fédéral (TF):
a) En 1994, le TF institue le «congé économique» qui confère un droit de congédier le locataire en place pour relouer plus cher, pour autant que le loyer annoncé au moment de la résiliation ne soit pas abusif. Comme l’examen du caractère abusif du futur loyer se fait toujours en amont de la relocation à un tiers, le bailleur peut invoquer un loyer plus bas que celui qui sera réellement pratiqué (ATF 120 II 105);
b) En 2020, le TF quadruple le rendement admissible au-delà du taux d’intérêt de référence (147 III 14);
c) En 2021, le TF supprime la possibilité de demander une baisse de loyer après l’écoulement du temps, limitant la possibilité de contester un loyer abusif aux seuls trente jours suivant la conclusion du bail (contestation du loyer initial). Le locataire qui ne l’a pas fait se voit définitivement privé de la possibilité de ramener son loyer à un niveau non abusif (147 III 32).
Ce triptyque peut déployer tous ses effets avec les modifications passées en force au parlement fédéral. Les congés «économiques» sont aujourd’hui souvent annulés parce que le bailleur ne parvient pas à démontrer que le loyer-cible pour la relocation n’est pas plus élevés que l’usage dans le quartier. La quatrième proposition d’Egloff (13.3562) lèverait cet obstacle. Sa troisième proposition (16.451) empêcherait le nouveau locataire de contester son loyer initial dans la plupart des cas. Le bailleur pourrait fixer le loyer à sa guise, au maximum de la demande la plus solvable. Ce loyer ne pourrait plus être remis en cause pendant toute la durée du bail, quand bien même il procurerait un rendement abusif au bailleur, à cause de l’arrêt 147 III 32. La proposition (22.4448) du conseiller aux Etats Stefan Engler (Centre/GR) assurerait au bailleur que les quelques locataires qui parviendraient à contester leur loyer initial n’auraient qu’une marge de manœuvre limitée, même dans les cas où un calcul de rendement est possible. En effet, Engler veut «stabiliser» la jurisprudence qui quadruple le rendement au-delà du taux de référence. Le TF a en effet limité cette jurisprudence à la période de taux bas, tant que le taux ne dépassera pas 2%.
Cette dialectique entre Tribunal fédéral et parlement conduit à la suppression du droit du bail comme instrument de protection des locataires.
Aucune considération sociale ou politique n’arrête les bailleurs et leurs représentants. Ils vont de l’avant sur les propositions d’Egloff et d’Engler, alors que les deux premiers textes votés en septembre sont contestés par référendum – l’Asloca a déposé lundi 60’000 signatures.
Pour donner le change, le Conseil fédéral a annoncé la semaine dernière d’hypothétiques mesurettes, alors qu’il publiera cette semaine une hausse – réelle cette fois – du taux de référence, signifiant une nouvelle majoration de 3% de loyer après celle de juin.
Les autorités fédérales accompagnent une gigantesque opération de transfert de richesses des locataires commerciaux et d’habitations en faveur de quelques groupes propriétaires de la plus grande partie des immeubles en Suisse. Ces groupes obtiennent une garantie de rendement sur les capitaux investis inimaginables dans d’autres secteurs. Quel actionnaire ou épargnant peut-il obtenir la garantie légale de 3,5% de rendement sur les capitaux investis, sans aucun risque? Quel actionnaire ou épargnant dispose-t-il de la garantie d’une indexation des dividendes de ses capitaux sur le coût de la vie?
Il s’agit donc de gagner les référendums de l’Asloca pour contraindre les autorités fédérales à respecter le mandat constitutionnel exigeant de prendre des mesures pour lutter contre les abus dans le domaine locatif (art. 109).
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime à titre personnel dans cette chronique.