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La traversée

Cette chronique littéraire a été écrite par une étudiante en Lettres de l’université de Genève, dans le cadre de l’atelier d’écriture animé par Eleonore Devevey et Natacha Allet.
La traversée
Roman

J’ai mille ans…, de Jean-Marie Quéméner, raconte le courage d’une mère, prisonnière d’une maison close au Soudan, qui, dans l’espoir d’un avenir moins sombre pour sa fille, décide d’entreprendre le voyage redouté vers l’Europe. Le récit se tisse à travers le regard du nouveau-né, enfant-miracle à la sagesse millénaire qui sait déchiffrer le monde et le cœur des hommes. Elles devront trouver un passeur, pour qui l’être humain est marchandise, affronter la violence des dunes et des vagues, celle des hommes, tout aussi meurtrière.

Malgré la brutalité des événements relatés, l’écriture est d’une infinie délicatesse: rien n’est enjolivé, néanmoins le texte est beau. Son rythme s’instille dans nos pensées: chaque banal trajet du quotidien évoque une autre traversée, lointaine et périlleuse, faite de sable et de souffrance. Pourtant, pas de pathos, mais des personnages qui, bien que cibles privilégiées du malheur, ont un don étonnant pour la joie. Ils savent rire – éclats brefs et intenses où résonne la force des condamnés qui jamais ne désespèrent. Montrer la souffrance sans inspirer la pitié, c’est là l’une des grandes forces du roman. S’y trouve célébré le courage des femmes au corps profané, mais dont la puissance n’a besoin d’aucune arme pour s’exprimer. C’est aussi une histoire d’amitié, de liens noués autour d’un repas de fortune et de l’infortune partagée – liens que le départ dénoue mais ne parvient pas à effacer.

On ouvre ce livre magnifique comme la boîte de Pandore: pour y découvrir les maux du monde, la souffrance qui pousse au départ, mais aussi pour continuer de croire que tout au bout reste l’enfant, «Amal», l’espoir.

Jean-Marie Quéméner, J’ai mille ans…, Ed. Récamier, 2023, 208 pp.

Culture Livres Coralie Leuthold Roman Université de Genève

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