Pratiques délictueuses aux portes de l’Europe
Présente en Grèce depuis plusieurs décennies, Médecins Sans Frontières vient de publier un rapport sur les violences que subissent les personnes migrantes à leur arrivée sur les côtes helléniques. Basé sur une cinquantaine de témoignages, il est le fruit de plus de deux ans d’activités sur les îles de Samos et de Lesbos et met en exergue les conditions de survie désastreuses sur les embarcations qui entament la traversée de la Méditerranée, ainsi que les pratiques délictueuses en mer ou sur terre. A différentes étapes au cours de leur périple et à leur arrivée, les rescapé·es sont l’objet de violences et d’humiliations répétées de la part d’un ensemble d’acteurs qui agissent majoritairement dans l’anonymat. Cette analyse vise à sensibiliser l’opinion publique et les Etats sur les conséquences médicales et psychologiques qu’entraînent ces pratiques. Les équipes de MSF rapportent d’ailleurs la difficulté pour les survivant·es d’énoncer les violences subies, souvent par peur de représailles.
A plusieurs reprises, les témoignages recueillis font état de fouilles intrusives quelquefois commises en public: «Toutes les femmes du bateau ont été fouillées, puis tous les hommes. Il a mis son doigt dans leur anus, il a fouillé leurs parties intimes», alors que le reste du groupe assiste impuissant à ces humiliations collectives. 1>Pour les besoins de cet article, les témoignages ont été traduits, raccourcis et édités. Certains récits évoquent aussi des pratiques d’extorsion et des détentions arbitraires qui sont souvent les tristes corollaires de pushbacks visant à repousser les migrant·es loin des côtes européennes, quitte à les mettre délibérément en danger: «Ils nous ont demandé, un à un, de leur remettre nos affaires et de monter dans l’un des radeaux. Puis ils ont foncé vers le large. Nous avons compris qu’ils nous ramenaient du côté turc. Puis ils ont coupé les cordes et ils sont partis.»
D’autres témoignages soulignent que des individus non identifiés montent à bord des embarcations, arrachent le moteur et les laissent ensuite dériver. «Il y avait des enfants avec nous, peut-être quinze au total. Les gens étaient écrasés les uns contre les autres, la pression les a tués. Notre bateau allait vite et tremblait. Ils nous ont laissés au milieu de la mer.» Du pays d’origine à celui d’arrivée, l’ensemble du parcours migratoire est ponctué d’épisodes dramatiques: «Ils ont dit qu’ils avaient trouvé les femmes allongées par terre au fond du bateau, les gens leur marchaient dessus mais elles étaient déjà mortes.» Fuyant des violences basées sur le genre dans leur communauté, des femmes se retrouvent également l’objet d’exploitation sexuelle, de viol et d’abus.
Des récits évoquent des coups et des tortures, des traumatismes liés à la perte d’êtres chers et au sentiment de mort imminente. Les psychologues qui soutiennent les personnes nouvellement arrivées rapportent des syndromes de stress post-traumatique et de dépression, pouvant aller jusqu’aux tentatives de suicide. Les personnes vulnérables, dont les femmes enceintes, sont particulièrement exposées, ne pouvant recourir à aucune aide médicale appropriée. La répétition de ces traumatismes engendre des conséquences dramatiques en santé mentale qui perdurent.
Le rapport MSF conclut sur les difficultés rencontrées par les ONG nationales ou internationales pour opérer dans un contexte où les Etats tentent à intervalles réguliers d’entraver les secours, notamment par le biais de tracasseries administratives ou de procès intentés à des travailleurs humanitaires. La criminalisation de l’aide, en dépit des obligations du droit international de porter assistance à des personnes en détresse, ne cesse donc pas aux portes de l’Europe. Les exactions commises sont le fait de groupes dont les méthodes s’apparentent davantage au banditisme qu’à une démarche d’agents d’Etat chargés de contrôler et de sécuriser l’arrivée de civils en situation d’extrême vulnérabilité.
En effet, une partie de ces actes sont rapportés comme le fait d’individus masqués, agissant clandestinement et d’une grande violence. L’anonymat autorise l’impunité la plus totale, et force est de constater que les autorités européennes ont failli depuis longtemps à leurs obligations de faire respecter le droit le plus élémentaire et d’entamer des poursuites. Le rapport souligne que la demande des personnes migrantes se résume essentiellement à une protection et une assistance médicale et humanitaire. En arrivant sur les côtes européennes, c’est une autre réalité qui leur est imposée, par le biais de pratiques qui ne sont pas dignes d’Etats prétendument démocratiques.
Notes
>Françoise Duroch est coordinatrice de l’unité de recherche sur les enjeux et pratiques humanitaires, MSF Suisse.
>Maelle L’Homme est chargée de recherche, MSF Suisse.